Considéré pendant un moment comme une simple lubie technologique, le livre numérique refait sérieusement parler de lui à la faveur de la présentation faite par Sony de son e-book seconde génération à la fin de l’année 2007. Un nouveau prototype de livre électronique plus performant qui a très vite remporté un succès énorme outre-Atlantique et au Japon, et qui a eu le mérite de relancer le débat autour de l’édition et de l’avenir du livre.
L’ère du papier est-elle en train de connaître ses derniers moments de gloire ? Le tout-numérique est-il en passe de devenir une réalité tangible ? Rien de plus difficile à déterminer pour l’instant. Mais ce qui est désormais sûr, c’est que la numérisation gagne tous les jours plus de terrain.
A peine quelques centaines de grammes, d’une qualité de lecture qui n’a rien à envier à celle du papier : ce petit gadget sur lequel on peut télécharger les textes à lire est désormais prêt à devenir un produit de masse. C’est en tout cas ce que prédisent les spécialistes. Outre les avantages du livre classique, le livre de demain, qui fonctionne comme n’importe quel terminal électronique, a l’avantage d’avoir une capacité de stockage beaucoup plus importante. En tant qu’objet, il a toutes les chances d’être très rapidement intégré dans l’univers domestique au même titre que le Ipod ou le téléphone portable, par exemple. En France, l’idée fait en tout cas son chemin. L’édition E-paper des Echos, le Cybook ou encore le Kindle d’Amazon qui ont vu le jour fin 2007 ont donné le la de la tendance à la “dématérialisation” qui s’opère dans le monde de l’édition. Le support livre électronique pourrait d’ailleurs faire très rapidement son entrée dans le domaine de l’édition scolaire. Plusieurs solutions de manuel numérique vont être expérimentées, notamment sous forme de dictionnaires et de supports pédagogiques pour l’apprentissage des langues vivantes.
Cette évolution qui s’opère progressivement dans le monde de l’édition aura-t-elle pour conséquence la disparition de nos bons vieux bouquins ? Pour l’instant, les spécialistes répondent par la négative : le livre en soi ne pourra pas être suppléé par un autre support. Il pourrait même vivre une seconde vie grâce à l’innovation technologique. Mais si les horizons qu’ouvre la dématérialisation du livre demeurent flous, il est un fait :
les livres sous forme papier cèdent tous les jours du terrain devant une tendance quasi frénétique à la numérisation des oeuvres. En effet, les projets de numérisation fusent de partout. Le plus ancien, le projet Gutenberg, lancé par Michael Hart en 1971 et qui aujourd’hui se présente sous la forme d’une bibliothèque de “e-texts”, essentiellement du domaine public, avançait en 2006 le chiffre de 18.000 livres dans sa collection. La Bibliothèque numérique européenne (BnuE), projet chapeauté par l’Union européenne, table sur la numérisation de 2 millions d’ouvrages pour cette année et sur 6 millions d’ouvrages numérisés en 2010. Le but est de créer un patrimoine culturel européen et transnational, sous forme numérique, accessible depuis Internet et gratuit pour les oeuvres libres de droit.
Avec pour objectif “la sauvegarde de la mémoire de l’humanité”, la Bibliothèque numérique mondiale lancée par l’Unesco vise à son tour à numériser et mettre à disposition sur Internet des documents de toute nature représentatifs du patrimoine mondial dans le but de faciliter l’éducation et la recherche à travers le monde. A cela, il faudra ajouter les fonds de Gallica, l’encyclopédie en ligne de la
BNF : 90.000 ouvrages numériques. D’autres projets plus lucratifs sont également en cours à l’instar du kiosque numérique d’Amazon, Google Print ou Yahoo/British library, en attendant bien sûr l’entrée en jeu des géants Microsoft, Nokia ou
Apple.
Ces projets qui ont le mérite d’assurer une certaine forme de pérennité aux oeuvres, ouvrent cependant sur d’autres problématiques dont les plus inquiétantes sont celles relatives au marché de l’édition papier.
En effet, la dématérialisation du livre inquiète de plus en plus les éditeurs qui craignent que le secteur de l’édition, encore en croissance en 2007, ne subissent sérieusement le même sort que celui du disque.Il devient en tout cas de plus en plus évident que cette nouvelle donne aura des conséquences sur le circuit du livre dans les librairies qui devront s’adapter, mais aussi dans les bibliothèques classiques. En effet, il est à craindre que les projets de numérisation ne finissent par constituer une véritable menace pour les bibliothèques. Lieu de lecture et de documentation, elles sont aussi et surtout des lieux de “sociabilité” qui risquent de disparaître.
Si une telle extrémité n’est pas encore d’actualité, cette nouvelle donne technologique pose à nouveau la question du “lien social” et donc de son impact humain.Le changement du support pose également une autre question non moins importante, celle de mesurer les répercutions sur la création littéraire. Comment en effet concevoir la littérature et sa réception à l’ère du tout-numérique ? Il est à noter que les premiers "romans" hypertextuels sur CD-Rom ont été publiés en France en 1996 (1) et que de nouvelles formes d’écriture surgissent régulièrement sur le Web.
Mais si cette écriture hypertextuelle se banalise, il reste à savoir si la dimension “multimédia” de l’e-book, par exemple, induira de nouveaux processus de création notamment par l’introduction du son et de la vidéo. Des passerelles nouvelles seront-elles possibles entre les différents modes d’expression ? La littérature bénéficiera-t-elle de nouveau matériaux ? Quelle littérature pour le XXIe siècle et quels nouveaux types de rapports induiront-ils dans la relation entre l’écrivain et le lecteur ? Des questions qui ouvrent sur autant de perspectives et qui questionnent de façon fondamentale la vocation même d’être écrivain.
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