on ne maîtrise rien à peine la théière alors théions au jour qui se lève à l’indifférence du soleil et à sa lumière aux merles toujours en vie et à ce parfum de froid encore hivernal pas de sucre merci je voudrais être assez doux pour accueillir en paix le jour et ces habitants restons humains ensemble et partageons l’instant en trinquant nos mugs et nos tasses nos gobelets et nos bols que nos bruits soient légers là-bas le jour s’est déjà levé sur quels décombres ? avec quels cris quelles explosions en boucle aux oreilles ? visions de façades éventrées de maisons effondrées de silhouettes sidérées de silhouettes actives de silhouettes en fuite ici de chics costumes cravate pérorent aux écrans du petit déjeuner – Nous allons accueillir ces réfugiés, bien sûr, c’est notre devoir humanitaire ils sont européens n’est-ce pas intellectuels de surcroît etc etc nous voilà rassurés à vot’bon coeur m’sieursdams l’humanité est en marche vers des lendemains patati patata hier ou avant hier et aux mêmes heures des mêmes écrans les mêmes costumes cravatent parlaient d’autres peuples en fuite et utilisaient d’autres mots migrants envahisseurs sans bagages terroristes en puissance et beaucoup applaudissaient des deux mains avant de les ramener autour de leur tasse une gorgée paisible un air de ouf sauvé nos lendemains chanteront patati patata des gens en fuite des migrants bientôt des réfugiés des corps différents des peaux et des dieux différents des statuts figés par des mots vocabulaire et météo variables de part et d’autre des écrans où sont passés les mots égalité solidarité liberté ou bien ceux comme respect fraternité autour d’un feu de mémoire ancienne partageons ce qui nous reste d’humanité tant qu’il en est encore temps partageons et tentons d’atteindre un lendemain.
*
Infuse à l’aurore
un sentiment d’infini
du miel sous la langue
*
Si, un matin, quelqu’un te parle de Bashaïku Kaki-San…
Si, un soir, parmi les ombres du couchant,
tu trouves un noyau… n’hésites pas :
se perdre et rêver permettent de grandir.
*
Patrick JOQUEL est né en 1959 à Cannes. « Je garde de mon adolescence un souvenir ébloui, même si, à 12 ans, ma vie s’est fendue avec la mort de mon papa. » Sportif, il eut la chance de pratiquer le ski (la montagne est proche) et les sports de mer (trop peu, hélas), toute proche elle aussi. Il continue ces activités, même s’il s’adonne désormais plus souvent à la marche. Il ne craint guère le soleil, lui qui porte des casquettes. Comme tout sportif, il aime les pâtes (hum, les raviolis !). Son amour de la mer lui interdit en revanche la dégustation du poisson pané. Sa devise ? Pour être heureux, il faut oser le bonheur. Il est instituteur et aime son métier. En particulier toutes les classes qui tournent autour de l’apprentissage de la lecture. Accompagner un enfant dans la planète livre, sur le chemin des mots, relève d’un miracle dont il ne se lasse pas. Il est marié. Agnès, sa femme a illustré certains de ses livres. Ils ont deux enfants : Guillaume né en 1985 et Emma née en 1989. Ils habitent à Mouans-Sartoux (06) après avoir été dans la montagne du Mercantour et en Afrique.
Le quatrième livre de Ricardo Langlois s’ouvre ainsi:
Mon âme est un rêve. La pensée du monde est un papillon….
…Je dois comprendre. Pourquoi la mort? La vie?
Ce superbe premier poème pose les bases du recueil à venir.
Les garçons ont des couronnes de feu.
Je les aime malgré moi.
Ou encore:
Comment séduire Jésus?…
…Les oiseaux connaissent le bonheur.
Pas moi.
La spiritualité, les questions exisentielles et Dieu sont omniprésents.
Les images sont puissantes, les références à Rimbaud affleurent.
L’empire de Ricardo Langlois est un chemin symbolique parsemé de poèmes.
La solitude et l’incompréhension du monde surgissent.
Je m’éloigne des humains.
Heureusement, le sourire rassurant de la mère et la musique de Jim Morrison veillent et sont des remparts solides.
L’empire est un coeur
creusé dans la pierre
Le poète s’abandonne tout entier car le
voici
Près de la fenêtre du ciel.
Après une lecture approfondie, la poésie de Ricardo Langlois opère, interroge, est belle comme une fleur sauvage et un recommencement.
L’empire de Ricardo Langlois
Poésie
60 p, 2021
Ricardo Langlois s’intéresse à l’ésotérisme, aux textes tibétains et bibliques. Il se passionne pour la musique rock depuis plus de 40 ans. Il fut animateur de radio et journaliste à l’UQAM. Il est maintenant critique pour famillerock.com http://famillerock.com/ et Lamétropole.com http://lametropole.com/.
La vérité se lèvera ! La liberté renaîtra ! (…) Mais en attendant, les fleuves coulent. Des fleuves de sang, par delà les montagnes. (…) Et des larmes, et du sang, de quoi désaltérer tous les empereurs.
*
Au-delà des lagunes, de noirs nuages volent le soleil et le ciel. La mer bleue, telle un fauve, rugit, hurle et gémit. Elle s’engouffre dans le Dniepr. Ola, les gars ! À vos barques ! (…) Ils rament en chantant. (…) À leur tête, leur otaman [chef] les conduit à sa guise. (…) Roulant sa moustache noire, il lève son bonnet, les barques s’arrêtent. Que l’ennemi périsse !
*
Peu m’importe
De vivre ou non en Ukraine.
Que l’on se souvienne de moi ou que l’on m’oublie,
De moi dans ces neiges étrangères.
Cela m’importe peu.
En captivité, j’ai grandi avec des étrangers,
Sans que les miens ne me pleurent,
En captivité, en pleurant, je mourrai
Et j’emporterai tout avec toi
Ne laissant même pas une seule petite trace
Dans notre glorieuse Ukraine,
La nôtre – qui n’est plus notre propre terre.
Et le père dans ses souvenirs,
Le père ne dira pas à son fils : « Prie,
Prie, mon fils : pour l’Ukraine
Il fut torturé jadis. »
Peu m’importe, si demain,
Si ce fils priera, ou non…
Mais ce qui m’importe réellement
C’est de constater qu’un ennemi ignoble
Endort, dérobe et consume l’Ukraine
La volant et la violant …
Ô, comme cela m’importe !
*
Quand je serai mort, mettez-moi
Dans le tertre qui sert de tombe
Au milieu de la plaine immense,
Dans mon Ukraine bien-aimée,
Pour que je voie les champs sans fin,
Le Dniepr et ses rives abruptes,
Et que je l’entende mugir.
Lorsque le Dniepr emportera
Vers la mer bleue, loin de l’Ukraine,
Le sang de l’ennemi, alors
J’abandonnerai les collines
Et j’abandonnerai les champs,
Jusqu’au ciel je m’envolerai
Pour priez Dieu, mais si longtemps
Que cela n’aura pas eu lieu
Je ne veux pas connaître Dieu.
Vous, enterrez-moi, levez-vous,
Brisez enfin, brisez vos chaînes,
La liberté, arrosez-là
Avec le sang de l’ennemi.
Plus tard dans la grande famille,
La famille libre et nouvelle,
N’oubliez pas de m’évoquer
Avec des mots doux et paisibles.
*
Taras Hryhorovytch Chevtchenko (en ukrainien : Тара́с Григо́рович Шевче́нко), surnommé Kobzar, né le 25 février 1814 à Moryntsi, gouvernement de Kiev, et mort le 1861 à Saint-Pétersbourg (Empire russe), est un poète, peintre et humaniste ukrainien. Figure emblématique dans l’histoire de l’Ukraine, il marque le réveil national du pays au XIXe siècle. Sa vie et son œuvre font de lui une véritable icône de la culture de l’Ukraine et de la diaspora ukrainienne au cours des XIXe et XXe siècles. La principale université ukrainienne porte son nom depuis 1939 : l’université nationale Taras-Chevtchenko de Kiev.
Maison, composé de poèmes écrits par Charlotte Francoeur et Éloïse Lamarre, d’un essai de Louise Warren et des illustrations de Raphaëlle Ainsley-Vincent, est l’aboutissement d’une résidence d’écriture s’étant tenue en Lanaudière à l’hiver 2019. L’écriture minimaliste de Maison s’imprègne du lieu – de la demeure, du lac, du sous-bois – et des possibilités créatrices de la collaboration entre femmes de différentes générations. L’esthétique du peu est mise en valeur par l’espace accordé à chacun des mots, le flottement et la respiration nécessaire à l’apparition d’images qui se suffisent à elles-mêmes.
*
mes yeux d’amandes ne voient plus que le fossé l’évidence je serai bientôt petite poussière orpheline
Hier est une violence fait le récit d’une tentative de suicide ratée, d’une mort désirée mais inatteignable. C’est une véritable déclaration d’amour d’une fille à sa mère, grande survivante des glaces du fleuve Saint-Laurent. Les poèmes de l’autrice, se déplaçant entre le corps, les berges et l’hôpital, sont portés par l’espoir de voir venir un renversement, une reprise de pouvoir sur la vie. En dialogue avec les œuvres de Caroline Mauxion, la poésie fait état de la violence d’une filiation composée d’absences et de blessures profondes, mais également d’une puissante résilience.
*
Directrice des Éditions Omri et directrice administrative des Éditions du Noroît, Charlotte Francoeur s’intéresse à la poésie québécoise contemporaine, aux relations que celle-ci peut entretenir avec les arts visuels et aux ponts poétiques que crée l’interlocution des médiums et des pratiques. Elle a co-écrit le recueil Maison, en collaboration avec Éloïse Lamarre et Louise Warren.
Des fois, je ferme les yeux et je fais comme si j’étais là :
Tu mets du choke, tu tires sur la crinque, ça décolle
dans un nuage noir. Il a tombé pas mal de neige,
faudrait pas rester en rack, j’ai même pas de soute.
Tout ce qui m’entoure ressemble à la phrase être à
la bonne place. Tu contournes les arbres dans la nuit,
tu vires sur un dix cennes ; les branches dans le front,
les flocons dans les yeux : c’est sûr que c’est pas avec
toi que je vais rester pris.
Je me dis que ça ferait un beau titre de quelque
chose : Il danse avec les ski-doos.
*
Je touche du bois, je ferme ma bouche mais je
continuerai quand même à le dire dans les silences
de la portée :
si vous me cherchez, je suis chez nous,
ou quelque part sur Nitassinan,
toutes mes portes et mes fenêtres sont ouvertes
je chauffe le dehors.
*
je sais je suis encore
une petite adolescence
emballée sous vide
à toucher mes cheveux
pour être belle je sais aussi
les formules qu’on égare
tout doucement
sur les présentoirs et les allées
à tourner en rond
attachés au pieu du réel
*
chercher sans relâche quoi faire de sa peau
par les petites rues les chemins de bois les raccourcis de cimetière et de chemin de fer chercher
chercher
*
Marie-Andrée Gill écrit de la poésie qui mélange ses identités innue et québécoise, dans un langage décomplexé et hors du pouvoir dominant. Elle a publié Béante, Frayer et plus récemment Chauffer le dehors, aux éditions La Peuplade. Son écriture s’inscrit dans le langage du territoire, l’oralité et la notion d’amour décolonial. Marie-Anrée Gill est une jeune poète innue de Mashteuiatsh.
Dans ce recueil, une voix et un horizon se lèvent. Les mots, à la fois légers et contemplatifs, jettent ici un regard plein de sens et de sensualité, au plus près de la cendre de nos vies. Les poèmes étincellent, témoins et complices, dans l’aurore qui jaillit chaque fois comme un jour initial.
Pour participer, envoyez-moi un poème indédit de 10 lignes et moins, thème libre, avec votre nom et prénom à mon courriel: christophecondello@videotron.ca
Vous avez jusqu’au dimanche 06 mars 20h, heure du Québec.
Le meilleur poème se verra attribuer un exemplaire du recueil, une publication sur mon blogue et un commentaire de ma part.
Prendre son pays pour un cheval redessine le paysage de la perte et de la redécouverte du lien avec les autres et avec soi. À travers un voyage organique entre racines et exils, disparitions lentes ou subites, libertés et contraintes, les poèmes tracent les voies de la réparation, celles du cœur, du corps et du souffle essentiels à l’existence. Les migrations de l’auteure d’un pays à un autre composent la toile de fond du recueil.
BIOGRAPHIE
L’écriture anime Nadège Broustau depuis l’enfance. Originaire des Landes, dans le Sud-Ouest de la France, elle a vécu dix-sept ans au Québec avant de s’installer en Belgique en 2016.
La poésie ponctue sa route comme un besoin vital, une essentielle danse. Finaliste du concours de poésie Écritout en 2008, elle a reçu la bourse Première Ovation en arts littéraires, catégorie poésie, de la Ville de Québec en 2010, pour un mentorat avec Sylvie Nicolas. Elle a participé comme invitée à des festivals et lectures publiques de poésie (Printemps des poètes, Nuit de la poésie, Relève en Capitale, Rencontre des écrivains et poètes de la région Chaudières-Appalaches) et a publié des poèmes dans plusieurs revues (Exit, Le Bilboquet) et anthologies (Écritout, Flammes Vives).
Amoureuse des mots et de leurs voyages, elle a étudié en lettres et en journalisme (licence et maîtrise à l’Université Bordeaux 3, France) ainsi qu’en communication publique (maîtrise, doctorat et postdoctorat à l’Université Laval, Canada). Elle a été professeure de relations publiques et chercheuse à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) de 2011 à 2016. Elle est professeure de communication et chercheuse à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) depuis 2016.
Parallèlement à ses écrits en poésie et parutions universitaires, elle a contribué à la rédaction d’un roman en littérature jeunesse ainsi qu’à celle de cahiers pédagogiques sur le théâtre.
.PUBLICATIONS
-LA RÉPUBLIQUE DES ÎLES, Éditions de la Haille, 2010.
-PRENDRE SON PAYS POUR UN CHEVAL, Pierre Turcotte Éditeur, 2021.
.PUBLICATIONS EN REVUES, ANTHOLOGIES ET COLLABORATIONS
BROUSTAU, Nadège. Les médias et les journalistes, interprètes de la société : représentations et jurisprudence médiatiques. Montréal : Presses de l’Université du Québec (PUQ), 2018, 232 pages.
BROUSTAU, Nadège et Chantal FRANCOEUR. Relations publiques et journalisme : dynamiques de collaboration, de conflit et de consentement. Montréal : Presses de l’Université du Québec (PUQ), 2017, 256 pages.
BROUSTAU, Nadège. Les petits peuples, Vélo de route et La culbute des sphères. Le Bilboquet, Hors série, 2013, pp. 19-22.
BROUSTAU, Nadège. Un café avant la chute. Exit, no 66, 2012, p.44.
BROUSTAU, Nadège. Nous allaiterons l’Histoire entre nos cuisses. In COLLECTIF. Carnet Par les temps qui courent, parcours littéraire organisé par Première Ovation en arts littéraires à Québec, 2010.
BROUSTAU, Nadège. Sombres labours. In COLLECTIF. Anthologie poétique de Flammes Vives 2010, volume 1. St Martin de Nigelles : Éditions Flammes Vives, 2010, p. 22.
LEBLANC, Jacques (sous la direction de). Les Cahiers de la Bordée 2010-2011. Québec : Théâtre de la Bordée, 2010, 80 p.
LEBLANC, Jacques (sous la direction de). Les Cahiers de la Bordée 2009-2010. Québec : Théâtre de la Bordée, 2009, 80 p.
BROUSTAU, Nadège. Supplément rédactionnel. In BERGERON, Diane. Le naufrage d’un héros. Saint-Laurent : Éditions Pierre Tisseyre, Collection Ethnos, 2009, pp. 177-229.
BROUSTAU, Nadège. Tambourin de la francité. In COLLECTIF. Là où se rétrécit le fleuve. Québec : Écritout, 2008, pp. 69-70.
voyez sur les pelouses d’Outremont la pleureuse défoncée dans son cimetière d’ovules mauves
*
et parce que c’est impossible d’avoir aussi peu de souvenir de sa jeunesse, j’écris dans l’absence des femmes qui m’ont faites, habituée aux bruits en tout genre autour de moi, habituée à écrire dans le vacarme des bébés et des disputes et des offrandes à l’alcool, pour comprendre ce trou noir, ce trou de mémoire en moi, ce quelque chose de suspect. Et alors faudra-t-il m’excuser, mes lecteurs et lectrices, d’avoir eu des vêtements et de l’argent de poche et des per diem pour les gens qui se sont occupés de moi à la place de ma famille, dans ces souvenirs dont je me languis à force de ne pas m’y voir. Pardonnez ma rage, ma chance d’avoir eu des livres pour survivre et apprendre les mots qui font de l’ombre à la mort. La famille est une idée du dernier siècle à laquelle je m’accroche pourtant sans savoir pourquoi ni en quel honneur, comme s’il s’agissait d’un Dieu méchant davantage qu’absurde, et qui a joué dans ma tête jusqu’à ce que je me crois maudite et de mauvaise conscience, empoisonnée et bonne à rien, honteuse, toxique et ingrate. La fille de ma mère.
*
Je coupe au couteau les coins de ma bouche, je suis tout sourire. Le siècle est un souper qui se trempe, s’arrose, s’asperge, se douche, s’inonde. J’apprends à respirer sous l’eau, à jurer du beau temps, je fais mon âge et je l’entends gémir, chaque mois, de corvée de culotte et de jours enclos. C’est par considération que je meurs.
Je tourne autour des soleils jusqu’à ce que l’un d’eux me rajeunisse.
Alors j’ai la joie et trois ans; pardonnez ma voix borgne, pardonnez l’enthousiasme, les mensonges de rien, le rire aigu, je suis un entrepôt de boue, d’agrumes et de limon où pousse un chapeau de fête.
Laissez la pourriture recouvrir les murs de mes écoles.
Demain j’irai mieux, je dormirai clouée à mes écrans, attachée à mes personnages de série, nous à nouveau, grouillantes de passés simples, pourries d’espérance, flanquées des versions les plus pâles du Christ. Je ressusciterai par balle, par colis, par habitude.
Nous aurons toujours de quoi veiller.
*
Daria Colonna est née à Montréal. Elle a cofondé les éditions de la Tournure, avec qui elle a publié son premier recueil, Nous verrons brûler nos demeures. Elle détient une maîtrise en recherche et création à l’UQAM. Ne faites pas honte à votre siècle, finaliste aux Prix des libraires, catégorie Poésie, convie le lecteur à un bal ardent où colère et vulnérabilité se côtoient. Tandis que la poète s’adresse directement au lecteur ce VOUS qui nous suit comme une ombre se frotte à « la violence qui rassure ». Pour Daria Colonna, la poésie est ce canon d’angoisses qui révélera le véritable cœur de nos demeures en les faisant brûler.
Normand de Bellefeuille n’a pas que traversé le paysage littéraire québécois : tour à tour professeur, critique, animateur, éditeur et écrivain, il l’a façonné. Son œuvre, auréolée de plusieurs prix, compte plus d’une trentaine de livres, de la poésie au roman, en passant par l’essai et la nouvelle. Impressionnant curriculum, certes, et pourtant l’homme reste humble, volontiers rieur, et toujours aussi passionné.
Lire a toujours été sa façon de se recentrer : « Je pourrais vivre, sans doute, sans écrire, mais jamais sans lire. Pour moi, la lecture, c’est la respiration. » Déjà, enfant, au cœur du tourbillon familial, le livre était son évasion : « Chez nous, on était huit, et pour avoir un peu la paix, j’allais lire dans la cave, où des rats se promenaient. Mais ça m’était égal : j’avais besoin de ça. »
Sans pour autant les sacraliser — un mot qu’il semble redouter particulièrement —, il accorde une reconnaissance toute particulière à ces mots coincés entre deux couvertures : « Pour moi, les livres sont des objets extrêmement précieux. Ce sont des objets qui ont une mémoire. » Il y a huit mois, à l’occasion de son déménagement de Montréal à Québec, il a dû se « débarrasser » de près de deux mille livres. Une douloureuse séparation.
La capitale nationale a cependant de quoi apaiser l’auteur, avec son fleuve, ses arbres, d’autant qu’elle lui permet de renouer avec une part de son enfance : « Mes souvenirs d’enfance les plus excitants viennent de la ville de Québec et mon rêve le plus cher était de venir vivre ici. » Ayant quitté le mois dernier son poste de directeur littéraire aux Éditions Druide, qu’il occupait depuis 2011, il jouit d’une semi-retraite dans sa nouvelle résidence où, à l’occasion de la parution de son nouveau recueil de poésie, Histoire du vent, Le Devoir l’a joint par téléphone.
Juste du vent
Pour bien faire saisir son plus récent projet, il nous invite à revenir à ses premières années d’enseignement : « La genèse de ce recueil remonte à plus de quarante ans, quand j’enseignais la poésie. Au premier cours, j’avais demandé aux étudiants ce qu’était pour eux la poésie, et l’un d’eux m’avait répondu, sans aucune agressivité et de façon très gentille : “Pour moi, la poésie, c’est juste du vent.” » À une nuance près, l’écrivain admet que l’étudiant avait raison : « Bien sûr, pour lui, le vent c’était futile, ce n’était rien, mais pour moi, au contraire, le vent, ce n’est pas le vide, c’est le souffle, le rythme. »
Du vent, donc, mais quoi d’autre ? L’inspirante lecture de L’arbre-monde (10-18, 2019), de Richard Powers, a été l’amorce de sa réponse. Précisément, c’est en se laissant porter par le vent et les arbres, lors de sa nécessaire promenade matinale, que le poète a apprivoisé la matière de son recueil : « C’est en marchant que, tout à coup, m’est venue l’idée d’un livre qui serait une réflexion sur la poésie — sans tomber dans le dogmatisme et un métalangage théorique — arrimée à quelque chose de plus lyrique. »
Sans imposer de cadre à sa réflexion, il lui importait de rompre avec l’idée désuète de l’inspiration, où le poète se fait messager de mots soufflés par une Muse perchée sur l’Olympe : « La poésie, c’est d’abord de la matière. C’est des mots, de la musique. Rien à voir avec la transcendance. L’inspiration, je crois pas à ça. Je crois au travail. Ce quelque chose qui me vient, tout à coup, ça vient de l’intérieur. »
Dans ce recueil, ce sont parfois des images qui ont fait naître les mots. Aux poèmes s’ajoutent en effet seize photographies en noir et blanc de Laurent Theillet, un ami du poète, dont certaines ont inspiré les poèmes qui y sont accolés : « Cette collaboration est le résultat d’un aller-retour dynamique, où certains textes ont créé des photos, et vice-versa. » Mouvements figés, paysages embrumés ou gelés, les images sont immersives et offrent quelques points d’arrêt visuels à la flânerie à laquelle nous convie le poète.
La déambulation est ici essentielle. C’est par elle que le poème se réconcilie à l’âme lyrique, c’est par la marche que le poème trouve son rythme et fait son chemin : « chaque matin / avant les poèmes / il y a des arbres / et du vent ». Les poèmes se présentent ainsi telle une avancée, lente et introspective, où la poésie est, en soi, un déambulatoire : « Le matin, quand je pars marcher, je ne sais jamais où je m’en vais — comme en écriture d’ailleurs —, sauf que je sais que je m’en vais vers des arbres et du vent. Et quand je reviens, je me sens beaucoup moins en détresse. Comme s’il y avait eu une réconciliation avec moi-même. » Matière lyrique et matériau de sublimation, la marche, la poésie, les arbres et le vent deviennent ainsi une forme de guérison.
Les moins menteurs
Le poète insiste sur l’importance que les vers tendent vers l’autre : « Si l’auteur n’arrive pas à se décoller de sa personne pour aller ailleurs, ça fait rarement de bons textes. » Sans regret, il se rappelle le mouvement formaliste en poésie, auquel il a pris part dans les années 1970, où les œuvres, « très hermétiques, tournées non pas vers les autres, mais refermées sur elles-mêmes, ont détourné beaucoup de lecteurs ».
Je pourrais vivre, sans doute, sans écrire, mais jamais sans lire. Pour moi, la lecture, c’est la respiration.
— Normand de Bellefeuille
Ce sont les femmes poètes qui, selon lui, ont alors ramené l’altérité dans la poésie : « C’est aussi là que la poésie est devenue narrative. » Alors salutaire, il estime cependant que la poésie contemporaine est devenue trop narrative : « Je devrais peut-être pas dire ça, mais des fois je lis un poème et j’ai l’impression de lire un récit. Je pense que la poésie doit rester de la poésie et que le vers doit rester un vers. » Mais aussitôt, conciliant et sensible, il se dédit : « Ah ! Je suis méchant là. »
Le poète embrasse de toute façon l’engouement renouvelé pour la poésie, qu’il a toujours considérée, au contraire des idées reçues, comme le genre le plus accessible : « La poésie, c’est le genre le plus compréhensible de tous, parce que c’est le plus ouvert. Il n’y a pas un poète qui va vous dire : ”Voici comment tu dois lire mes poèmes.” Et c’est en ce sens-là que la poésie est un genre royal, parce qu’on n’a pas à se préoccuper de l’intention de l’auteur. »
Son parti pris est tel qu’il ajoute, goguenard : « Je ne sais pas si je vais oser dire ça… Je pense que tous les écrivains sont de grands menteurs. Ils trafiquent la réalité. En roman, on n’a pas le choix, et l’autobiographie… c’est tellement menteur. Les poètes sont les moins pires. » Bon joueur, il avoue se méfier de lui-même.
Qu’est-ce qui attend l’homme à l’impressionnant parcours ? Il reconnaît que la conclusion d’une œuvre est le début d’une autre. À une condition cependant : « Il faut que l’œuvre soit nécessaire. » Une sagesse, toujours, couve ses propos, mais celle-ci n’est pas le fruit d’un âge avancé, parce que vieux, il l’a toujours été : « Je me suis toujours senti vieux. Même très jeune, j’avais hâte d’être plus vieux. J’étais un vieil enfant, et maintenant que j’ai 70 ans, je ne me sens pas plus vieux. J’ai rejoint l’âge que j’ai toujours pensé avoir. »
« Bientôt je saurai peut-être / qui je suis / grâce à cette magie mineure / qu’est le poème ». Le dernier recueil de poésie de Normand de Bellefeuille, Histoire du vent, est d’abord une quête. Par la marche des mots, le rythme de ses pas et la musique du vent, il cherche la guérison de la poésie, une réconciliation avec soi. En route, il creuse une question : qu’est-ce que la poésie ? Sa réponse, amalgamée à sa quête existentielle, est large et ouverte, embrassant contradictions et zones d’ombre. Cependant, même au plus près de la vérité, quelque chose semble lui échapper : « le triste vocabulaire du vent / du temps qui fuit / sous l’arbre / me convainc d’être parvenu / au bord de moi-même / et de ce murmure qui ne cesse / de me défaire ». Illustrée par les photographies de Laurent Theillet — magnifiques, mais qui auraient gagné à être davantage décollées du texte —, cette douce dérive exprime avec force et sensibilité le potentiel sublimatoire de la poésie.
Normand de Bellefeuille et Laurent Theillet sont amis de longue date. Ils signent ensemble «J’étais donc maintenant sur la terre», qui paraît cette semaine en librairie (https://www.leslibraires.ca/…/j-etais-donc-maintenant…)
Né à Montréal en 1949, Normand de Bellefeuille a occupé le paysage littéraire québécois en plusieurs métiers: tour à tour professeur, critique, animateur, éditeur et écrivain. Il a publié plus d’une trentaine de titres, de la poésie au roman, en passant par l’essai et la nouvelle. Son travail a été souvent couronné par des prix prestigieux: à deux reprises par le Prix du Gouverneur Général du Canada, à deux reprises également par le Prix international de poésie de Trois-Rivières et par le prix Athanase-David de l’Assemblée nationale du Québec pour l’ensemble de son œuvre.
Laurent Theillet est écrivain et photographe. Il vit à Montréal. Ses ouvrages littéraires et photographiques ont été publiés dans plusieurs maisons d’éditions (Boréal, Éditions du Passage, la Bagnole) et plus récemment, au Noroît. Il a été lauréat de plusieurs bourses des Conseils des arts du Québec et du Canada, et a été finaliste au prix Alvine-Bélisle 2016 et présélectionné au Prix des libraires 2017. En 2019, suivant la publication d’un livre de portraits photographiques d’artistes (De visu, aux Éditions du Passage), soixante de ses images ont été exposées à la Maison de la culture Janine-Sutto à Montréal.
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même enfant il y avait deux hommes en moi et je crois bien que les deux déjà me détestaient
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Enfant j’amusais mes amis imitant le poisson des abysses indigo et profonds abysses histoire de mon enfance malgré moi si vivant si aimant si stupidement céleste si magnifiquement crédule parfait le dos tourné à la nuit.
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je ne m’ennuie presque plus jamais j’ai appris à cohabiter avec moi-même mais il y a toujours et encore encore et encore de beaux moments de mélancolie
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Mon crâne est une chambre noire où viennent se cogner les reflets du monde la plupart du temps je n’en meurs pas je garde mon souffle d’enfance je marche sur le bord en regardant mes pieds parfois le ciel ordinaire en vertige m’observe pose sa main sur mon épaule.
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j’ai appris récemment que le poème c’est penser à côté le poème c’est savoir enfin rendre la nuit à la nuit car finalement on ne peut que résister et vieillir longtemps
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