Je me tiens immobile tel un arbre qui attend l’orage chaque caresse qui pénètre mon sang, je la garde prête pour toi sur la peau délicate du bout de mes doigts.
*
Les arbres devant ma fenêtre rêvent de toi durant les longues nuits d’hiver, ils me regardent avec colère et méfiance ils fleurissent en revêtant les teintes sombres des corbeaux et des corneilles
*
Et seules les roses de papier rouges
avec leurs doux secrets
sourient encore à la fenêtre
à tous les passants
*
L’une des figures majeures de la poésie yiddish moderne, Rachel Häring Korn (1898-1982), est reconnue pour sa poésie lyrique dépeignant les paysages de Galicie (Pologne) durant l’entre-deux-guerres et pour sa façon d’incarner, avec une sensualité rayonnante, une voix féminine parmi les plus imposantes de sa génération. Dès la publication de son recueil Dorf (Village) en 1928, elle s’impose avec force, les critiques masculins refusant d’abord de croire que ses textes sont signés de la main d’une femme. Par la suite, Korn publie un recueil de nouvelles intitulé Erd (Terre, 1936), suivi d’un recueil de poèmes intitulé Royter mon (Pavots rouges, 1937). Ces ouvrages confirment sa réputation de poète versée dans les descriptions luxuriantes de la nature et l’incarnation de paysages pittoresques.
Née à Québec, Chantal Ringuet est une écrivaine et traductrice littéraire.
Elle écrit de la prose et de la poésie. En parallèle, elle traduit certaines voix singulières de la littérature mondiale et de l’art moderne (dont Marc Chagall et Rachel Korn), tout en jetant quelques éclats de lumière sur l’œuvre de Leonard Cohen. Le yiddish est sa galaxie. Elle voyage entre les langues et chacun de ses livres participe d’une entreprise de reboisement littéraire où il s’agit de créer une forêt en diaspora.
Sa démarche artistique aborde des questions de déracinement et d’enracinement, de mobilité et d’hybridité culturelle. L’archive et la photographie y occupent une place essentielle. Ses travaux récents s’intéressent à la construction des mythes et de la célébrité, aux récits (auto)biographiques et à la transmission intergénérationnelle. Entre histoire collective et mémoire familiale, l’écriture de Chantal Ringuet est porteuse d’échos, de traces et de résonances du sensible : ruines vivantes, traumas oubliés et secrets enfouis.
Écouter la voix du poème, entendre le doux frémissement des arbres et donner la parole aux subjectivités bafouées sont autant de sujets qui s’inscrivent au cœur de son travail actuel. Elle s’intéresse particulièrement aux images floues, aux essences et aux papiers délicats. Aux fissures et aux points de lumière. Aux broderies végétales, aux lainages et aux étoffes.
Formation académique et parcours en recherche-création
Elle fait des études en lettres et philosophie, obtient une maîtrise en études littéraires, puis complète une année de doctorat en philosophie à l’Université de Montréal avant de revenir à la littérature. En parallèle, elle suit une formation clinique en psychanalyse au Québec et en France. Après avoir terminé un doctorat en études littéraires à l’UQÀM (boursière FRQSC, Mention d’honneur) et un postdoctorat sur le pluralisme culturel à Montréal et la littérature yiddish à l’Université d’Ottawa (boursière CRSH), elle fait paraître un recueil de poésie, Le sang des ruines (prix littéraire Jacques-Poirier 2010), un ouvrage de synthèse sur la culture yiddish intitulé À la découverte du Montréal yiddish (2011) et une anthologie dans laquelle elle signe plusieurs traductions, Voix yiddish de Montréal (Moebius 139, 2013). Suit un recueil de poèmes français-anglais, Under the Skin of War (2014), qui s’inspire des œuvres du photojournaliste britannique Don McCullin, ainsi que plusieurs traductions. Elle publie ensuite un recueil d’essais sur le Moyen-Orient intitulé Un pays où la terre se fragmente. Carnets de Jérusalem (2016). Avec Gérard Rabinovitch, elle co-dirige l’ouvrage collectif Les révolutions de Leonard Cohen qui remporte en 2017 un Canadian Jewish Literary Award, suivi d’un Duetto Leonard Cohen, son chanteur de prédilection. Avec Pierre Anctil, elle traduit du yiddish l’autobiographie de jeunesse de Marc Chagall (Mon univers. Autobiographie, 2017). Elle contribue à plusieurs revues, dont Les écrits, Exit, Possibles et Words Without Borders.
Boursière au YIVO, l’Institute for Jewish Research à New York (2015-2016), puis chercheuse en résidence au Hadassah-Brandeis Institute (2016) pour un projet centré sur les poètes yiddish Rachel (Rokhl) Korn et Kadya Molodowsky, elle a été également écrivaine en résidence, puis traductrice en résidence au Centre international de traduction littéraire (CITL-BILTC) du Banff Centre for Arts and Creativity (2017). À l’hiver 2019, elle a été écrivaine en résidence à l’Université Brandeis (MA). En octobre 2019, sa candidature a été retenue parmi une soixantaine d’écrivains à l’international pour inaugurer la résidence en création littéraire à Reykjavik, ville de littérature de l’UNESCO, pour son projet Treelessness/Sans toi, jusqu’à la cime des arbres.
Depuis 2020, elle est membre associée au Centre de recherche Cultures Arts Sociétés à l’UQÀM. Elle est également membre de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ), de l’Association des traductrices et des traducteurs littéraires du Canada (ATTLC) et de la Quebec Writers’ Federation (QWF) (membre du conseil d’administration de 2015 à 2017).
Je voudrais déposer à tes pieds ce monde terrible Où le chanteur des rues nous tend son chapeau, Où des anges au manteau usé jusqu’à la corde Traînent sur les trottoirs sous une pluie funèbre.
Je voudrais déposer à tes pieds en cette ville La loi suprême et le secret de l’univers, Tout ce monde sauvage aux feux artificiels, Dans lequel toi et moi chuchotons nos désirs.
Je suis unique au monde, et il n’est d’autre moi, Tu es unique au monde, et il n’est d’autre toi. Et nous n’avons qu’un seul amour, ô mon ami, Jusqu’à la mort, jusqu’à la fin. Et à nouveau après la mort.
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La vie passe, emportant les petits événements comme les grands. Des noms et des époques illustres, il ne reste que cendres.
*
Je ne suis pas un roc, je suis un fleuve. Parce que je bouge : géographiquement, mais aussi intérieurement.
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Sans la tendresse des femmes, mes amis, comment vivre ? Sans la beauté des femmes, qui donc aimer ? Et qui donc éblouir de nos pauvres yeux ? Vers qui tendre nos faibles mains ?
Surgissant dans les plis d’une immense toile, Née dans des livres éternels, Cette vision depuis toujours en toi Te regarde et te tend son visage au front noble.
Que tu la nommes Laure, Juliette, Ou encore Hélène, sans amour Tu ne pourrais vivre. Tous nous portons ce rêve, Nul ne peut se soustraire à l’amour.
Tandis que le carbone mûrit sur le dessein d’une étoile massive trois noyaux d’hélium fusionnent en une branche érigée rare
nos vie sauvages et rouges immobiles dans la nature pourtant précaire une masse creuse son sillon à même la faim solaire et au centre
ce mois de mai qui à force d’étincelle sublimait ses bombes dans des rues plus larges que la mesure du possible
quand je babillais haut et fort toi tu buvais un petit lait suri déjà la violence et l’orage avaient renoncé à te prendre
venu de très loin tu investis le corps entier de ma vie au crépuscule déjà tu dessinais des cimes je revoyais l’Hérault
quand les volcans crachèrent en coulées de graphite de petits os noircis pour te rendre fou
avant que naisse la terre braises dissimulées sous les charbons nous voici dans les remous de mon ventre bus par la soif douloureuse d’être mortels
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Catherine Morency est écrivaine et professeure. Elle est l’autrice des recueils Les impulsions orphelines, Sans Ouranos, Les musées de l’air et des essais Poétique de l’émergence et des commencements, Marie Chouinard chorégraphe, L’atelier de L’âge de la parole. Poétique du recueil chez Roland Giguère, La littérature par elle-même). Elle enseigne la création littéraire et littérature québécoise à l’Université du Québec à Chicoutimi. Son univers poétique sonde à la fois les zones les plus noires de nos âmes et les lieux où, à force de luttes, d’acharnement et de convictions, la lumière jaillit.
La voiture pleine de neige Attend son propriétaire Parti à la guerre
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Le vent entraîne les nuages Vers la ligne de front Si vite
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Vite, à la maison ! Me dis-je mais ma maison Est un abri anti-bombes
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Maison abandonnée À travers le toit cassé Les étoiles
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за мир для мира*
Pour la paix
Trad. automatiques en ukrainien puis russe
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Vladislava Simonova est une jeune Ukrainienne de 23 ans qui a choisi le haïku pour exprimer, dans sa langue natale (traduite par elle-même en anglais), les souffrances de son pays, victime d’une invasion brutale par l’armée russe…
Il me semble que cette guerre ne va pas prendre fin rapidement. Je me dis qu’écrire de la poésie, face à la destruction et face à la mort, c’est une chose bien difficile. Mais j’aimerais au moins transmettre quelque chose au reste du monde par ces haïkus. Transmettre la tristesse que je ressens au quotidien dans ce chaos qui n’en finit pas.
Cet article est paru dans le journal CHUNICHI SHIMBUN du 30 mars 2022 https://www.chunichi.co.jp/article/444041 Pour le journal, le poète Seegan Mabesoone a traduit les haïkus en japonais, en concertation avec le journaliste Keita Hayashi . Pour L’Ours dansant, Seegan sensei a traduit en français l’intégralité de cet émouvant témoignage. Qu’il en soit vivement remercié.
par-dessus ton épaule la lumière n’avait aucun défaut
j’aurai tout fait pour m’approcher de ta voix trouver refuge dans une parole qui s’élèverait avec la mienne
*
j’entends la paix des automnes
fuir entre les arbres
je me nourris du pain de la mémoire
il fait noir dans l’incendie du monde
j’appelle la parole lâchée sur les traces
une pluie errante en mon corps
*
le soir replié jusqu’à l’absence
j’aime les eaux éclatées du mystère
les corps semblables aux départs
l’horizon débute par un silence
la terre console de l’agonie
*
c’est ton visage
ton horizon
ta soif
et surtout tes lèvres
encore
qui me frôlent
mais la nuit
est comme en dehors de tout
je ne sais pas
ce qui me retient
de fendre les souvenirs
d’incendier la maison fugitive de l’été
il est minuit
et vivre ne fait pas le poids
*
enfant déjà je ramassais des images
aussi lourdes que la parole
je pelais mon coeur
en quartiers lumineux
je voulais m’éloigner
un peu de moi
je pleurais
comme une maison
où la lampe va s’éteindre
*
Michel Pleau fait ses études à l’Université Laval, où il obtient un baccalauréat ès arts en 1989 et une maîtrise en littérature québécoise en 1992. Il est également titulaire d’un certificat en animation culturelle de l’Université du Québec à Montréal (1988). Né dans le quartier populaire Saint-Sauveur où il passe son enfance, il habite de nouveau ce lieu qu’il aime profondément. Depuis 1992, il anime des ateliers de création à l’Université Laval et dans divers milieux. Il donne des conférences et participe à des lectures publiques. Il collabore aussi à plusieurs revues dont Possibles, Moebius, Estuaire et Le Sabord.
Michel Pleau reçoit le Prix Alphonse-Piché pour sa suite poétique intitulée Nous passons sous silence et le Prix Octave-Crémazie pour Le corps tombe plus tard en 1992. Il est finaliste du Prix Émile-Nelligan avec son recueil intitulé Plus loin que les cendres en 1996. La Commission de toponymie du Québec a baptisé une île du réservoir de Caniapiscau, dans le Nord du Québec, du titre de son recueil La traversée de la nuit, au cours d’une cérémonie célébrant le vingtième anniversaire de la Charte de la langue française en 1997. Il obtient le Prix de poésie Félix-Antoine-Savard pour Qui s’enfonce dans la nuit en 1998. En 2008, il reçoit le prix du Gouverneur général, catégorie Poésie, pour son recueil La lenteur du monde.
En 2014 et 2015, il a occupé le poste de Poète du Parlement, un mandat d’animation culturelle en collaboration avec le Service des programmes éducatifs de la Bibliothèque du Parlement à Ottawa. Pour l’ensemble de son œuvre, il s’est vu décerner le Prix de la personnalité littéraire de l’Institut Canadien de Québec en 2015 puis le Prix Jean-Noël-Pontbriand en 2018.
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