Bonjour,
aujourd’hui pour notre questionnaire de P(oés)I(e), nous avons le grand plaisir d’accueillir Mireille Cliche.
Présentation:
Lauréate du prix Octave-Crémazie, Mireille Cliche compte à son actif quatre recueils de poésie, un roman et un album mettant à l’honneur des illustrations de Stéphane Jorisch. Elle s’est impliquée pendant plusieurs années dans des regroupements d’auteurs et d’artistes et elle est actuellement membre du comité de rédaction de la revue Femmes de parole. Son dernier ouvrage est paru en 2020 aux éditions du Noroît et s’intitule Le cœur accordéon.

1/Qu’est-ce qui vous a amené à la poésie?
J’ai commencé à écrire presque quotidiennement à la mort de mon père, quand j’avais treize ans, pour m’aider à traverser ce passage difficile. Je croyais tenir un journal mais au bout de quelques années, j’ai réalisé que j’adorais le travail sur la forme et, qu’en fait, j’écrivais plutôt de la poésie, en vers ou en prose.
2/Pouvez-vous nous indiquer un livre que vous aimez particulièrement?
C’est une demande presque cruelle! Il y a tant de livres que j’aime ou que j’ai aimés… Depuis La petite taupe qui voulait une barboteuse reçu dans mon enfance jusqu’à Exercices de joie de Louise Dupré, les livres m’accompagnent. En ce moment, c’est ce dernier recueil qui fait le plus l’objet de mon plaisir et de mon admiration.
3/Pouvez-vous nous dévoiler un ou deux de vos poètes préférés et pourquoi?
Voilà une autre question difficile! J’adore Marie Uguay pour la sensualité, la fraîcheur, l’incandescence de son écriture ; Louise Dupré pour sa profondeur, sa clarté, son intelligence de la vie ; Rachel Leclerc pour son souffle, ses images, son lyrisme discret ; Patrice Desbiens pour la force et la vitalité de ses textes ; Gaston Miron pour sa puissance évocatrice et son ancrage dans notre culture ; Jacques Brault parce que ce qu’il a écrit est beau, tout simplement… J’aime aussi Paul Éluard dont j’ai dévoré l’œuvre dans ma jeunesse. Et je ne cesse de découvrir ou de redécouvrir des voix, de Camille Readman-Prudhomme à Carole Massé. Merci à vous, d’ailleurs, de nous en faire entendre.
4/Quelle est votre dynamique d’écriture?
J’éprouve parfois une pulsion forte, un besoin d’exprimer une émotion ou une sensation. À d’autres moments, je fais le choix de m’arrêter et de laisser émerger ce qui se trouve en moi. Dans les deux cas, je tente de me rendre aussi loin que je le peux dans l’attention puis dans le cumul des images, sans autocensure, dans une attitude d’exploration. Le travail commence ensuite, qui consiste à trier, élaguer, faire la chasse aux clichés, trouver le mot juste, ordonner les idées. Je lis et relis mes textes à haute voix jusqu’à en aimer le rythme et les sonorités. Et je recommence le lendemain.
5/Pouvez-vous nous présenter votre dernier recueil, sa naissance, son thème, ses inspiration?
Le cœur-accordéon a été écrit sur une année, entre Montréal et Saint-Étienne de Bolton, dans les Cantons de l’Est. On y voit passer les saisons, les sensations, les émotions, les souvenirs, l’actualité et ses échos – le tricot de la peine avec la joie. Pendant son écriture, j’ai médité chaque matin avant de m’installer à mon bureau et je crois que cette pratique m’a rendue pleinement disponible à ce qui se produisait en moi et autour de moi, de l’infiniment petit jusqu’à la une des journaux.
6/Pour-vous nous en offrir un ou deux extraits?
*
Bientôt l’hiver craquera après avoir beaucoup pleuré
Des restes de miroir lècheront les anses du lac
Des rameaux plus tendres
Caresseront les palais des cerfs
Du bout du sentier nous regardera peut-être
Un vieux mâle à peine troublé
Par nos pas dans le dégel
Je tendrai l’oreille au ruisseau déluré
Secouant son mica sous la glace mince
Revenus du Brésil ou de la côte américaine
Des chants oubliés monteront du sommet des arbres
Parfois liquides parfois cassants les jours
Retrouveront teintes et sonorité
Des milliers de rigoles se fraieront un chemin
Dans la poussière le long des trottoirs
Nous verrons à nouveau presque incrédules
La vie reprendre son désordre
Ne restera de notre veille
Qu’une attente émerveillée
*
L’encre s’efface le papier disparaît
On ressasse les nouvelles
Dans leurs mille nuances de noir
Je ne vais pas bien
Je vais et c’est déjà beaucoup
Beaucoup mieux que pour la foule
Des indigents qui s’arrachent
Les parcelles d’un sol déguenillé
Éventré craquant las
La terre se dispute
De colloque en colloque
Les grands hurlent les petits murmurent
Et la raison se tait
*
Ce jour-là m’a labourée
Ce jour-là m’a tranchée comme un vieux fruit
Ce jour-là a rendu les vraies larmes à jamais impossibles
Il a faussé ma musique
Il a détricoté le monde
Il a fait de moi une coquille cassante au contenu incertain
Il a bousculé l’amour qui attendait
L’a tassé dans un coin l’a passé à tabac
[…]
7/Y a-t-il un site de poésie que vous nous recommanderiez et pourquoi?
Je lis vos publications facebook qui regorgent d’information et tracent de nombreuses pistes pour un voyage littéraire. Je suis également abonnée à deux blogues qui m’inspirent. Celui du généreux Daniel Guénette, Le blogue de Dédé blanc-bec (https://4476.home.blog/author/danielguenette), qui traite autant de recueils de poésie que d’essais ou de romans, m’incite à découvrir des oeuvres, à en goûter toute la richesse. J’apprécie également trajectoires vers l’incertain (https://trajectoiresverslincertain.wordpress.com/) de Catrine Godin. On y trouve de beaux dessins et des textes sensibles, d’une véritable, et parfois déroutante, originalité.
8/Le mot de la fin
Que dire, sinon que l’amour de la poésie est un voyage, un cadeau, l’occasion d’une suite de rencontres miraculeuses.
Voilà, un grand merci Mireille pour vos réponses éclairées, et je vous souhaite tout le succès que vous méritez.
Jan 30, 2023 @ 13:00:49
« Le cœur-accordéon » est un très beau recueil. Je me souviens de l’avoir lu en prenant bien soin de ne pas en froisser les pages et en m’abstenant de l’annoter. Il y avait dans ce comportement une forme de respect quasi religieux. Merci pour cet entretien.
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Jan 30, 2023 @ 14:09:41
C’est l’instinct qui voit que l’intelligence
Ne suffira pas
C’est très beau.
Merci Daniel.
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Jan 30, 2023 @ 15:54:47
Merci beaucoup, Christophe, pour cette attrayante découverte !
Bravo, Mireille Cliche, pour votre profonde et si touchante poésie!
Vos mots semblent être une porte ouverte vers le cœur qui accueille l’instant! Ces quelques extraits parlent de la beauté de l’être au cœur du sensible, au moyen de votre riche langage devenu presque tactile.
C’est comme si vous étiez consciente d’une présence subtile en vous et tout autour de vous, et qu’il ne vous est pas possible de ne pas nous raconter ce qui s’y passe!
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Jan 30, 2023 @ 16:01:34
Plaisir Raynald, il se dégage de la poésie de Mireille une belle sensibilité et une grande profondeur.
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