Recueil Vers l’embellie – Fernand Ouellette – Éditions de La Grenouillère

*

La main

Mon présent oscille,

Ébranlé gravement par ton absence

Qui a des agissements de foudre.

Le soleil nous relie-t-il toujours

Ainsi qu’il embrasait notre union?

J’ignore si le puits que j’habite

T’est vraiment accessible.

Si peu de lumière me soutient

Depuis ton infini, et néanmoins

Je sens que tu me tends la main.

*

Le nouveau recueil de Fernand Ouellette, Vers l’embellie, regroupe quelques 150 poèmes.

Les textes oscillent, avec concision, entre hommage, reflexion et douleur Ici, je respire à peine, suite au départ de son épouse.

L’hymne à l’aimée est vibrant et lumineux.

*

Le temps s’est livré à la déchirure

Entre deux fragments,

À la périphérie

Reprends le cours

De tout ce qui s’éveille

*

Le poète évoque avec pudeur et profondeur soixante ans d’union conjugale, apprivoisant la solitude le soleil nous relie-t-il toujours et le manque de sa chère Lisette, compagne fidèle de tant d’années de vie commune.

Le recueil est empreint de mysticisme et s’ouvre sur des retrouvailles probables et espérées.

*

Une pensée océane

Bruyante d’oiseaux plongeurs,

Face au siècle compressible

Qui a déjà inventé ma fin, mon silence.

*

Ce livre d’une grande profondeur, où l’absente demeure un élément du quotidien, quel qu’il soit, est un hymne à l’amour éternel et un cantique d’espoir la poésie porte l’âme.

*

Le coeur se compresse 

Dans un creux d’être et de nuit.

Est-ce cela, maintenant, 

La voie du vivre ?

*

La spiritualité que nous connaissons au poète émerge à chaque page de ce recueil , nous illumine et une présentation de Daniel Guénette nous laisse croire que ce pourrait bien être son dernier. 

L’ode à la vie y est omniprésente et majestueuse.

Du grand Fernand Ouellette, poète québécois majeur, comme toujours.

Nous nous délectons de chaque phrase, de chaque mot, tant la précision des poèmes est phénoménale.

Où comment la littérature surpasse et sublime à la fois le quotidien et la réalité.

*

Laisse ta musique même inaudible 

S’accorder à mon souffle. 

*

Après La Châtaigneraie de Daniel Guénette concernant Gérald Tougas, Vers l’embellie est un autre superbe livre hommage (à titre posthume) chez Les Éditions De la Grenouillère.

Nota bene de Daniel Guénette:

Ce dernier recueil de Fernand Ouellette est tout simplement magnifique. Il contient de courts poèmes tous plus beaux les uns que les autres.
En proie à des sentiments de relative impuissance, le poète en vient néanmoins à dépasser sa misérable condition d’endeuillé. Puisant à même les ressources spirituelles que lui procure l’espérance, d’allègement en allègement, il s’élève au-dessus de lui-même. Appelé à devenir bientôt une âme dégagée de toute forme d’entraves physiques, il aspire au moment où il échappera enfin à la matière. Il laissera derrière lui ses proches et ses amis. Ce sera pour retrouver dans l’Or du Levant ses morts bien-aimés. À sa rencontre viendra celle qui fut son épouse. Il ne vit plus désormais que dans l’expectative de ces retrouvailles.

Lancement officiel:

Mardi 21 février

Atelier-librairie LE LIVRE VOYAGEUR lors d’un 5 à 7.

2319 rue Bélanger, Montréal.

  • Auteur(s): Ouellette, Fernand
  • Éditeur: Grenouillère inc. (De La)
  • Format: Broché
  • En librairie le 21 février 2023
  • Prix: 28,95 $
  • EAN: 9782924758830

Le lien vers le livre: https://www.renaud-bray.com/Livres_Produit.aspx?id=3906131&def=Vers+l%27embellie%2cOUELLETTE%2c+FERNAND%2c9782924758830

Fernand Ouellette, écrivain (Montréal, 24 septembre 1930). Un des intellectuels les plus actifs de sa génération. Cofondateur et membre du comité de rédaction de LIBERTÉ, en 1959, il crée avec Jean-Guy Pilon la Rencontre québécoise internationale des écrivains.

Membre de la Commission d’enquête sur l’enseignement des arts au Québec (1966-1968), réalisateur d’émissions culturelles à Radio-Canada, il est écrivain en résidence ou professeur invité dans plusieurs universités.

Ses recueils de poésie, publiés aux Éditions de l’Hexagone, notamment Ces anges de sang (1955), Le Soleil sous la mort (1965), Dans le sombre (1967), Ici, ailleurs, la lumière (1977), ont été rassemblés dans Poésie (1972) et En la nuit la mer (1981). Ses plus récentes publications de poésie et d’essais comptent parmi ses meilleures œuvres : les Heures (1987), les dernières heures d’un fils avec son père; Ouvertures (1988) ainsi que Commencements (1992). Métaphysique et mystique, la poésie de Ouellette est profondément incarnée, contrastée, érotique, remplie d’images intuitives. Sa quête de l’absolu s’inspire des Romantiques allemands — voir Depuis Novalis : errance et gloses (1973) – alors que ses exigences rigoureuses se rapprochent de celles de Pierre-Jean Jouve.

Également critique et théoricien de ses genres préférés, Ouellette est aussi un excellent essayiste. Peu après la proclamation de la LOI SUR LES MESURES DE GUERRE en 1970, pendant la CRISE D’OCTOBRE, il refuse le PRIX LITTÉRAIRE DU GOUVERNEUR GÉNÉRAL pour Les Actes retrouvés, sur la poésie et la poétique, le pouvoir, la violence et la tolérance. Ecrire en notre temps (1979) étudie les mêmes questions éthiques et esthétiques. Ami de plusieurs peintres, dont Chagall et du compositeur Edgard Varèse, dont il publie une biographie (1966) qui est traduite en anglais en 1968, Ouellette s’intéresse à l’art qui sous-tend tous les arts. Son Journal dénoué (prix de la revue Études françaises, 1974) est une autobiographie intellectuelle importante. Trois de ses romans, Tu regardais intensément Geneviève (1978), La Mort vive (1980) et Lucie ou Un midi en novembre (1985) sèment la controverse.

Bien que Ouellette remporte trois prix littéraires du Gouverneur général, il n’en accepte que deux, dont un pour Lucie ou un midi en novembre en 1985 et un autre pour Les Heures en 1987. Il remporte le prix Athanase-David en 1987, la médaille de la Ville de Laval en 1992, le prix Duvernay de la Société Saint-Jean-Baptiste en 1994, le prix Gilles-Corbeil en 2002 et le Prix Alain-Grandbois de l’Académie des lettres du Québec en 2006. En 2005, il est nommé Chevalier de l’ORDRE NATIONAL DU QUÉBEC.

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Christian Bobin – Le muguet rouge – Ricardo Langlois sur LaMetropole.com

Un article de l’ami Ricardo sur l’incontournable, l’inoubliable Christian Bobin.

Merci Ricardo.

Le lien vers l’article ici: http://lametropole.com/arts/litterature/christian-bobin-le-muguet-rouge/

Tu es mort et tu m’as accompagné dans mes vingt dernières années. Tu m’as comblé par ton écriture très personnelle. Tu as construit à ta manière un pays intérieur avec l’arrogance verte d’un adolescent. Tu as changé ma vie. Tu as réinventé la pensée totalitaire avec une poésie bénie de lumière. Chacun de tes livres est un trésor. Celui-ci est le dernier. Pour moi, il était important de parler de toi comme d’un grand ami, d’un confident.
Une vision personnelle

Bobin est affligé par la réalité. Son dernier livre « Le muguet rouge » est un testament. Chaque phrase, chaque réflexion illumine. Comment vivre avec l’air du temps ? Ce monde d’images qui nous envahit. Où est le vaisseau d’or ? Suis-je trop vieux pour saisir cette époque sans âme ? Je suis le seul à vous écrire une longue lettre d’amour. Suis-je le seul à chercher la beauté du monde ? Pouvez-vous éteindre vos cellulaires ? Aller goûter la rosée de l’enfance. Je vais me coucher dans mes larmes en lisant votre livre. L’architecture du désir ne doit jamais tuer l’enfant intérieur. Depuis les vingt dernières années, j’ai eu une faim insurmontable à vous lire.

Lire la vie
Quelques extraits que j’ai soulignés :

« La poésie est don de lire la vie. Est poétique toute concentration soudaine du regard sur un seul détail, que provoque notre désir enfantin de ne jamais mourir. » (p. 25)

« Le métro transporte sa cargaison de visages gris. » (p. 26)

« Nous étions des rois. Des fleurs tombaient sur nos épaules, des diamants. C’était une seconde après notre naissance, et une seconde après notre mort. » (p. 27)

Quand on lit Bobin, il faut voir des anges qui existent dans l’inexistence. Il faut quitter ce monde. Apprendre à vivre dans la nuit. Découvrir la chair du silence. Aller lire dans notre chambre secrète pour redécouvrir nos joies d’enfance. Parce que le monde ne voit pas la Lumière. Parce que le monde vit dans les images. La vie vous fait mal. Elle va. Elle vient. Je veux renaître avec des souliers neufs parce que je suis inadapté à la souffrance. Il faut laisser couler la vie, sans perdre notre innocence. Il faut guérir de la maladie d’un monde en cavale. La souffrance est un langage muet.

Une lettre secrète

« Le seul fait de vivre, d’être jeté au monde comme on est jeté aux chiens nous crée un devoir envers ceux qui nous ont précédés sur ce chemin. » (p. 40). Et plus loin, j’ai pensé au poète Rumi : « Cœur et souffle, tous deux dans une lettre secrète, là tu envoies la vie à un monde ignorant. »  (1). 

À la lecture de son testament, « Le muguet rouge », comment ne pas penser à « La plus que vive » (2), un de ses plus beaux livres. Il parle de la mort. Tous les poètes parlent de la mort. (3) « L’événement de la mort a tout pulvérisé en moi. Tout sauf le cœur. Le cœur que tu m’as fait et que tu continues de me faire, de pétrir avec tes mains de disparue, d’apaiser avec ta voix de disparue, d’éclairer avec ton sourire de disparue. » (4).

La Bête qui mange le Temps

Ce monde déshumanisé, sans repères remplis d’abîmes et de nouveaux tabous, tu t’en éloignes par la beauté du cœur pur, « dans la simplicité radicale du ciel bleu. » (5). Tu as donné à nos blessures d’enfance, une joie inexplicable. Une joie sans cause qui appartient à ceux qui ont compris. Nous sommes dans un autre Temps qui n’appartient à aucune race et aucune religion. Cette lumière est presque insupportable. J’ai appris à la reconnaître petit à petit. J’en retiens des petits bouts que je retranscris dans mes cahiers. 

La société se déconstruit. Tout repose sur un individualisme caricatural. Bobin laisse sous-entendre qu’on est proche de l’apocalypse. Et cette phrase qui tombe comme la foudre : « De plus en plus de gens meurent de chagrin sans que nul s’en aperçoive, pas même eux. » (p. 55) Comment survivre à l’aliénation, aux impératifs sociaux dominants, il n’y a pas de réponse en dehors d’une prise de conscience personnelle.

Notes
  1. Rumi, « Cette lumière est mon désir » p. 126. NRF Gallimard, 2020.
  2. Christian Bobin, « La plus que vive »  Folio 2020.
  3. Saint-Denys-Garneau, je fais allusion au poème « Cage d’oiseau » Regards et jeux dans l’espace Boréal Compact.
  4. Christian Bobin, « La plus que vive » p. 13.
  5. Christian Bobin, « La lumière du monde » p.72  Folio 2003.

Christian Bobin, « Le muguet rouge » Gallimard, 2022.

Éditions Milagro – Février 2023


Méditer sans maître – Peter Hart. Né dans la banlieue de Toronto en 1990, Peter Hart est poète/performeur et mystique pendant son temps perdu. Il vit à Marseille où il est impliqué dans différentes activités artistiques, notamment en tant que fondateur et propagandiste du Collectif de Contre-déterminisme Magique, un projet d’improvisation bruitiste en ensemble aléatoire.
Il signe un recueil hypnotique, son premier, qu’il présentera lors d’une lecture performée à Manifesten à Marseille, fief des éditions Al Dante, le samedi 11 mars à 19 heures (lien de l’événement : cliquez ici)


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L’Offre des Possibles – Alexandre Blaineau. Une poésie des visages et des absents, celle des voix murmurées. Un second recueil sensible, minéral, épuré et accessible qui entrouvre pour le lecteur les portes intuitives de la mémoire.  vit dans les Ardennes. Il est l’auteur de trois essais, notamment Les chevaux de Rimbaud (Actes Sud, 2019, Prix Khôra-Institut de France 2020



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Nommer Néanmoins – Philippe Longchamp. Tout un art de conteur en réalité, et qui consiste aussi, à bon escient, à ne pas nommer, à entretenir le mystère quant au sujet de la fable que l’auteur va dérouler à la suite : qui est-il celui-ci qui n’a quasi rien sous son crâne si elle s’y séjourne ? (Claude Vercey, revue Décharge) Philippe Longchamp est l’auteur d’une quinzaine de recueils (Cheyne, La Dragonne, L’idée bleue)
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Spa et poésie – Vers l’embellie – Fernand Ouellette

Vers l’embellie

Fernand Ouellette

Éditions de La Grenouillère

2023

Vers l’embellie est une véritable somme. Le recueil qui contient quelque 150 poèmes est l’œuvre de toute une vie. Leur exemplaire concision et leur grande sobriété impressionnent au point de bouleverser.

Le lien vers le livre ici: https://www.renaud-bray.com/Livres_Produit.aspx?id=3906131&def=Vers+l%27embellie%2cOUELLETTE%2c+FERNAND%2c9782924758830

Lancement

mardi 21 février

à l’Atelier-librairie LE LIVRE VOYAGEUR lors d’un 5 à 7.

Bienvenue à tous et toutes au 2319, rue Bélanger.

Rimouski: Le sentier poétique

Le lien vers le site ici: https://www.artpublicrimouski.ca/oeuvre/le-sentier-poetique

Débutées en 2005, Les randonnées poétiques sont une initiative du Salon du livre de Rimouski et de son directeur, Robin Doucet, afin de marquer le quarantième anniversaire de l’organisme. Depuis, année après année, le parcours situé tout au long du Sentier du littoral de Rimouski s’enrichit de nouvelles pierres où des extraits de textes de poètes régionaux et québécois y sont gravés. Le projet de ces haltes pédestres vise à unir la culture et la nature en relation avec le majestueux fleuve Saint-Laurent.

Anthologie PLUS DE 100 FRONTIÈRES aux Éditions Pourquoi viens-tu si tard?

Pour le Printemps des Poètes 2023, les éditions Pourquoi viens-tu si tard? vous propose une anthologie regroupant 116 autrices et auteurs ainsi que 8 photographes (presque) du monde entier. L’ouvrage, intitulé PLUS DE 100 FRONTIÈRES, est à paraître en mars prochain.

Michèle Gagné

*

L’écrit plié et replié
comme une famille,
ses linges glacés,
son armure d’eau
refoulant les os et le cœur,
remue tout le corps
abandonné
à la marche du langage.

*

Sur la vitre des clichés, volent,

en éclats lisses,

nos cœurs maintenant visibles

comme des fenêtres sans bavures.

*

Dans une chambre de pénombre,

nous implorons l’astre vert des animaux

sans autre protection que la nudité et le temps,

ce feu ignorant de lui-même.

*

[…]

Tout ce rouge

qui tombe et divise

rend impossible l’errance,

peuple notre faute

comme un corps posé là

que rien ne guérit.

Quelque chose se passe.

Les arbres

battus à mort

perdent la mémoire verticale de leur trajet.

Les pères ne font qu’un.

Et devant eux, billes et couteaux

tombent sur le sable.

*

Nos fronts se touchent,

attentifs à la douleur,

ils délivrent la mer.

Celui qui se redresse

ne sait pas d’où il vient.

*

Michèle Gagné est née en 1954. Bachelière en psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières, elle s’intéresse au processus créateur et à l’interdisciplinarité. Elle donne des ateliers d’écriture dans lesquels elle cherche à développer des outils stimulants pour la prise de parole. Elle donne aussi des lectures publiques.

AU NOROÎT, elle a publié L’autre corps (2006) et Habiter ici (collection «Initiale», 2002).

DERNIER RAPPEL – Société Littéraire de Laval – Lancement de la revue d’arts littéraires ENTREVOUS 21

Lancement de la revue d’arts littéraires ENTREVOUS 21

SAMEDI 18 FÉVRIER,
de 14 h à 16 h 30
Bibliothèque Multiculturelle,
1535 Boul. Chomedey, Laval
Thé et scones offerts.

Direction artistique : Danielle Shelton
Codirection littéraire : Leslie Piché et Diane Landry.
Auteurs, autrices et artistes de ce numéro :
Louis Babin, Guy Beaulac, Janick Belleau, Maxianne Berger*, Monique Bernier, Patrick Coppens, Vincent Diraka*, Danielle Godin, Julie Grimard, André Jacob, Lyne Jubinville, Arianna Karpouzis, Lavana Kray, Fabrice Koffy, Kina Konto, Diane Landry, Monique Pagé, Danièle Panneton, Leslie Piché, Boris Pintado, André-Guy Robert, Hubert Saint-Germain, Guillaume Soucy, Anne Thivierge, Renée Thivierge, Thérèse Tousignant, Kim Yaroshevskaya.
Le supplément hypermédia de ce numéro est déjà en ligne : Village mental, un spectacle intimiste du slammeur Fabrice Koffy, accompagné à la guitare par Guillaume Soucy. L’enregistrement a été fait en février 2022, à l’occasion d’un Café littéraire de l’Assemblement qui soulignait le Mois des Noirs. Cette production originale est un partenariat de la Société littéraire de Laval et de la Société nationale du Québec à Laval.
Lien : https://entrevous.ca/supplement-hypermedia-21/

En librairie : double parution de Thomas Kling

Editions Unes   FacebookEmailWebsite    

Que ne doit surtout pas être le poème aujourd’hui?

Je le dis tout haut : une industrie de la réception et du divertissement.


Si on essaie de souder le divertissement à la littérature, ils finissent tous deux par se désintégrer.
  En librairie : Itinéraire & Mémoire vocale par Thomas Kling  
 
Nous avons entamé en 2015 l’aventure passionnante de l’édition française de l’œuvre du génial poète allemand Thomas Kling, dans une traduction d’Aurélien Galateau. Si son œuvre profonde et exigeante est célébrée en Allemagne, où Kling est considéré comme un poète majeur, elle reste encore méconnue en France. Les deux ouvrages complémentaires que nous publions aujourd’hui ont pour vocation de révéler les structures profondes, les racines historiques et l’ambition du projet klingien. D’abord avec Itinéraire, essai dans lequel Kling donne son art poétique, convoquant aussi bien la figure d’Hermès Trsimégiste que celle d’Horace, remontant aux sources de l’écriture, de l’oralité, et des dialectes argotiques considérés comme des réservoirs poétiques essentiels. Ensuite avec Mémoire vocale considérable anthologie établie, présentée et commentée par Thomas Kling en 2001, qui rassemble 200 poèmes allemands du VIIIe au XXe siècle, et dont la traduction par Laurent Cassagnau et Aurélien Galateau représente un véritable tour de force. Tout autant qu’une anthologie nécessaire et stimulante de la poésie allemande, Mémoire vocale porte le schéma sous-jacent de l’œuvre de Thomas Kling, qui présentait ainsi son projet : Mémoire vocalecontient environ deux cents poèmes qui ont été rédigés en allemand depuis les débuts de la tradition écrite. C’est un choix très consciemment limité qui présente cependant l’avantage qu’on peut en faire le tour. Ce recueil offre aux lecteurs de la matière verbale en quantité suffisante, il offre également de la matière aux statisticiens et suit la réflexion de Nietzsche qui dans Humain trop humain écrit qu’il faut « chercher l’excellent en quelque endroit et sous quelque nom qu’il puisse se trouver ; qu’il convient en revanche de s’écarter aussitôt de tout ce qui est mauvais et médiocre sans le combattre, et que douter de la qualité d’une chose (doute qui s’élève rapidement quand le goût est un peu exercé) peut déjà valablement passer pour argument contre elle et occasion de l’éviter complètement. » J’ai choisi assez exactement cent poèmes dans une période qui va des débuts de la poésie en ancien haut allemand jusqu’au début du xxe siècle ; puis encore une fois environ cent poèmes jusqu’à nos jours, y compris les trente dernières années qui ont suivi la mort de Paul Celan (1970), y compris la période contemporaine jusqu’en 2000, l’année de la mort d’Ernst Jandl et de H.C. Artmann. Que Mémoire vocale accorde tant de place aux poètes qui écrivent en ce moment ne plaira pas à tout le monde. J’assume le reproche de frivolité qui en résulte et je renvoie à la postérité qui jugera.   Itinéraire, Traduit de l’allemand  par Aurélien Galateau, 64 p., broché, ISBN 978-2-87704-255-0, imprimé en France, 16 € Mémoire vocale, 200 poèmes allemands du huitième au vingtième siècle, stockés et modérés par Thomas Kling, traduction de l’allemand par Laurent Cassagnau et Aurélien Galateau, 320 p., broché, ISBN 978-2-87704-256-7, imprimé en France, 25 €    

Itinéraire  
Cet essai constitué de 9 textes rassemblés par Thomas Kling en 1997 est à la fois un itinéraire à travers les âges et les formes du poème et un itinéraire personnel à travers la propre poétique de Kling. Héritier de l’avant-garde poétique du groupe de Vienne et des performances de Konrad Bayer ou Oswald Wiener, des expérimentations de Reinhard Priessnitz dans les années 1970 ou des mouvements punks de Düsseldorf, dans les années 1980, Kling remonte dans cet Itinéraire un chemin poétique qui serpente entre l’ethnologie, l’étymologie et l’histoire, allant de Hermès Trismégiste au slam contemporain. Kling thématise le lien entre ces mouvements d’avant-garde et un retour aux traditions orales qui précèdent l’écriture. Il n’est pas qu’un enfant des écoles expérimentales, et rejette d’ailleurs le terme de « poésie expérimentale » : il est l’historien du poème, de Horace à Goethe, de Rabelais à Mallarmé, de la langue aléatoire de Khlebnikov à Fluxus en passant par le dadaïsme. Kling puise aux sources de l’oralité poétique, de l’argot, des dialectes, de l’intégration de matériaux non littéraires et met au jour une conception cosmopolite du langage. Le poème pour Kling est polyglotte, ouvert à l’altération, la déformation, la saturation, le collage. Le slang, le rotwelsch et autres argots, les langues populaires sont pour lui des réservoirs, des « matières linguistiques fécondes », des moyens de transgression, à l’inverse d’une langue qui serait close et isolée. Remonter les sources, « prolonger les lignes de tradition poétique », établir une archéologie du langage, telle est la matrice klingienne. Ouvrir le corps de la langue, la soumettre à l’étude, la décomposer pour la reconstruire : la poésie de Kling est un monstre de Frankenstein, une chose hybride et bouleversante qui questionne les origines pour révéler les composantes chimiques du temps présent. En opposition à la « poésie quotidienne sinistre et pensive » et au « revival beatnik », il revendique une posture histrionique héritée de la tradition des comédiens pantomimes de l’antiquité, que l’on retrouve aussi dans le théâtre chinois ou les lectures masquées du poète Hugo Ball dans les années 1920. La poésie ne doit pas pour autant devenir une industrie du divertissement, ni tomber dans l’hermétisme, elle est au contraire « un acte mémoriel » qui traverse l’histoire, et dont Kling nous lance la grenade dégoupillée au visage. Itinéraire est un livre éclairant sur les questions sans cesse renouvelées du fond et de la forme, de l’intégrité du texte, des tensions entre oralité et écriture, et une porte d’entrée remarquable dans l’œuvre d’une des plus importantes figures de la poésie allemande du dernier demi-siècle.   Mémoire vocale   En 2001, l’éditeur DuMont Verlag pose à Thomas Kling la question suivante : « De quels poèmes en langue allemande avons-nous besoin en ce début de siècle ? » C’est en tant que réponse à cette question qu’il faut lire le choix présenté ici: une sélection de 200 poèmes indispensables pour le poète qu’est Thomas Kling. La seule anthologie de poésie allemande disponible en français est actuellement celle de La Pléiade, et Mémoire vocale ne constitue pas une simple anthologie de plus : elle a valeur de programme poétologique. Des formules magiques de Mersebourg aux poètes et poétesses d’aujourd’hui, Kling choisit de présenter des textes destinés à mettre en valeur toutes les ressources qu’offre l’allemand sur une dizaine de siècles, dans la diversité de ses registres : langue incantatoire, jargons et hybridations telles que le rotwelsch, l’argot des classes marginalisées, mêlé d’allemand, de néerlandais et de yiddish. Si la plupart des noms attendus dans une telle anthologie sont présents: Bachmann, Brecht, Celan, Goethe, Hölderlin, Heine, Nietzsche, Novalis, Rilke, Trakl…, il s’agit là d’un choix singulier, à contre-pied du canon littéraire, notamment par la place limitée faite à la tradition classique et romantique, mais qui offre une part belle à la poésie du Moyen Âge, aux audaces de la poésie baroque, à la diversité inventive des écritures modernes et contemporaines. Celui pour qui le poème est « instrument optique et acoustique de précision qui provient et se met au service de la perception, la perception exacte de la langue » assume ici la subjectivité d’un choix moins de poètes que de textes admirés, ce qui peut expliquer les surprises que réserve Mémoire vocale : la poétesse d’origine juive Gertrud Kolmar, morte en déportation, est placée dans l’immédiat voisinage de Josef Weinheber, poète autrichien controversé en raison de sa collaboration avec le régime nazi ; Nelly Sachs, lauréate du prix Nobel de littérature en 1966, n’est pas présente dans cette anthologie, pas plus que Hugo von Hofmannsthal, qui a été un représentant important du symbolisme allemand, Kling lui préférant son ami Rudolf Borchardt, un strict formaliste, théoricien d’une « Restauration créatrice » nourrie d’Antiquité et de classicisme. Des surprises, et de nombreuses découvertes, comme les poèmes magnifiques d’Annette von Droste, figure majeure du XIXe que Kling aimait particulièrement, la présence des avant-gardes autrichiennes avec Ernst Jandl, Reinhard Priessnitz…, ou les choix audacieux de nombreux poètes contemporains, comme Anne Duden, Kurt Aebli, Barbara Köhler ou Marcel Beyer. Il importe ainsi de replacer Mémoire vocale dans le contexte de la poétique de Kling, qui considère que « la poésie procède du flux de données, elle est – si elle réussit, si elle fonctionne –, un flux dirigé de données et déclenche un tel flux chez le lecteur ». C’est à la reconfiguration d’un tel flux dynamique que travaille

Mémoire vocale.    
Né en 1957 près de Francfort, Thomas Kling passe son enfance à Düsseldorf où son grand-père lui fait découvrir les poètes expressionnistes. Héritier de la poésie expérimentale viennoise (en particulier de Friederike Mayröcker et Reinhard Priessnitz), contemporain des grands artistes de Düsseldorf (Joseph Beuys, Blinky Palermo, Sigmar Polke), témoin des concerts punk du Ratinger Hof, il est un des grands artisans du renouveau de la poésie allemande à l’heure de la Réunification. Son approche radicale de l’oralité poétique et l’ambition de ses recherches formelles lui valent une reconnaissance rapide dans les années 1980. Ses poèmes, qu’il qualifie d’« installations linguistiques », entrelacent instantanés intimes et plongées vertigineuses dans les strates linguistiques du passé, et sont ancrés dans un présent dont ils cherchent à préciser le sens. Également éditeur d’anthologies et traducteur, Kling s’efforce de faire connaître et revitaliser des pans entiers de la littérature (de la poésie latine à l’avant-garde viennoise en passant par l’époque baroque). En 1995, il déménage avec sa compagne Ute Langanky dans une ancienne base militaire de l’otan près de Düsseldorf, dont il pilote la reconversion en centre artistique (intégré à la Stiftung Insel Hombroich), qui abrite depuis la Thomas-Kling-Archiv. Il installe son bureau rempli d’archives dans le mirador et compose ses derniers grands recueils. Il meurt en 2005 d’un cancer du poumon. Considéré comme un poète majeur en Allemagne, il a obtenu le prix Else Lasker-Schüler en 1994, le prix Peter Huchel en 1997 et le prix Ernst Jandl en 2001.       Thomas Kling aux Editions Unes          

Emmanuelle Riendeau

*

Je n’en viens pas à bout
sa voix s’éradique
de jour en jour

l’assurance de la gravelle
chancelle entre nos orteils mouillés

les lieux qui nous ont vues grandir
ne nous reconnaissent plus

brailler appartient
à celles qui se rappellent encore
les origines de leurs sanglots
et je n’ose plus
me remémorer
à sec

*

*

Demain est un projet à long terme

quand on sait ce que vivre

contient d’arrachement

*

c’est un jeu

intenable

nous idolâtrons

les morts

idéalisons la perte

*

*

Emmanuelle Riendeau est née à Drummondville en 1993, dans une famille ouvrière. Elle est titulaire d’un baccalauréat en Études littéraires de l’Université du Québec à Montréal et du statut de drop out universitaire. Après s’être consacrée à la lecture publique éthylique, son premier recueil, Désinhibée, est paru aux Éditions de l’Écrou en 2018.

Depuis, elle a signé des textes dans les collectifs CorpsPauvretéNos hontes vous reviendront armées, dans les revues EstuaireTristesse, ainsi qu’en ligne sur Filles Missiles et Spirale Web.

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