de même que la forme et la couleur du hasard de ce qui m’environne
et je sais que je ne pourrais jamais accueillir en moi qu’un quart ou moins
mais un quart d’espace c’est déjà la silhouette
déracinée des pieds jusqu’à la tête une fleur cueillie dans le temps
qui s’efface
c’est déjà un filament l’étincelle allumée par mon désir – du bûcher présent
*
les amours
soufflées. perdues. un à un passé
sous mes pieds la terre tremble rugit sans traces
la mémoire les efface jusqu’à la pâleur des pierres
je pleure je souris c’est comme ça.
*
tout le monde part dehors même la vie dedans fuit
le temps passe sans traces que nous devant l’immense bouche béante
autour du nœud « moi » tout se détache
même la peau se relâche et les nerfs se délient « je » fuis
*
mon corps
un poids parmi tant d’autres dans cet espace-là présentement
mon corps presse contre les herbes vertes à Montsouris sur une colline
le bleu du ciel est partout je dirais
les herbes vertes pressent contre mon corps à Montsouris dans une vallée
partout brille le bleu du ciel je dirais
une impression condensée nous submerge
elle à mes côtés ou moi en corps à côté d’elle
on meut en réalité tout ce qui est présent rythmé
aux accents d’une surfaces et de secondes accidentels – on respire
quel soulagement de le ressentir – on vit encore en corps la pelouse pulse fort
*
le souffle silencieux centrifuge l’univers dans ses yeux / j’attends en mouvement que l’étincelle du silex révèle la motion des cieux
* Joep Polderman est une poète née à Zutphen (Pays-Bas) en 1994. Après un séjour aux États-Unis, elle s’installe à Paris en 2012 où elle apprend le français et obtient des diplômes en histoire de l’art (2016, Panthéon-Sorbonne) et en littératures françaises (Sorbonne, 2019). Pendant ses années d’études, elle commence à composer des poèmes et d’autres textes en français. Elle a publié sang aux Éditions de La Crypte. Plusieurs textes poétiques ont paru dans les revues Point de Chute et Hurle-Vent (printemps 2021). Elle partage également des extraits, des brouillons, des dessins et des sources d’inspiration sur son compte Instagram (@premières.feuilles).
un temps d’inattention : ils sont là, prolifèrent.
On interroge On ne comprend pas bien
Sont-ils nés d’un regard, d’une voix rencontrée ?
*
J’écris des poèmes nains.
Mes poèmes mélangent
sous le manteau de l’ange
le miel et le venin.
J’écris des poèmes faits main.
Mes poèmes étranges
troublent parfois dérangent
l’ordre d’hier avec demain.
J’écris des poèmes en forme d’orange
et votre bouche qui les mange
c’est encore moi qui la peins.
*
Karel Logist est né à Spa en 1962. Liliane Wouters publie son premier recueil, Le Séismographe, en 1988 aux Éperonniers. Suivent dix recueils, parmi lesquels Ciseaux carrés (1995), Alexandre Kosta Palamas (1996), Force d’inertie (1996), J’arrive à la mer (2003), Le Sens de la visite (2008), et l’anthologie personnelle Tout emporter (Le Castor Astral, 2008). Membre du comité de la revue Écritures à la fin des années 90, il a fondé la revue et les éditions Le Fram avec Carl Norac et Serge Delaive. Il anime de nombreuses rencontres d’écrivains et des ateliers d’écriture. Karel Logist est lauréat de nombreux prix de poésie, dont le Prix Robert Goffin, le Prix Maurice Carême, le Prix Jeune Talent de la Province de Liège, le Prix du Parlement de la Communauté française et le Prix Marcel Thiry. Son site: https://karellogist.com/
Bibliographie
J’arrive à la mer, Editions de la Différence, Collection clepsydre, Paris, 2003, 128 pages. (Prix Marcel Thiry)
Tout emporter, poèmes 1988-2008, préface de Liliane Wouters, Le Castor astral, Collection Escale des lettres, Bordeaux, 2008, 172 pages.
Desperados, Editions L’arbre à Paroles, Amay, 2007, 86 p.
Si tu me disais viens, Éditions Ercée, Bruxelles, 2007, 96 pages
Force d’inertie, Le cherche-midi, Collection Domaine privé, Paris, 1996, 61 pages. (Prix du Parlement de la Communauté française)
Mesures du possible, Editions L’arbre à Paroles, Amay, 2011, 148 pages.
Mademoiselle Grand et Monsieur Belle, MaelstrÖm, Collection Bookleg, Bruxelles, 48 pages
Un danseur évident. Éditions L’Arbre à Paroles, Amay, 2004, 43 pages.
Retours. Éditions L’Acanthe, Namur, 2001
Une quarantaine, L’Arbre à Paroles, Collection traverses, Amay, 1997, 55 pages.
Alexandre Kosta Palamas. Éditions Les Eperonniers, collection Feux, Bruxelles, 1996, 69 pages, ISBN 2871322805
Comme chaque année, les Éditions Arfuyen seront présentes au MARCHÉ DE LA POÉSIE place Saint-Sulpice à Paris qui se tiendra du MERCREDI 8 AU DIMANCHE 12 JUIN 2022 Nous serons heureux de vous y accueilir sur leSTAND 216-218
Comme Proust doit sa gloire à un seul livre, on tend à le voir aussi tout d’une pièce : malingre, mondain, esthète, éthéré. Bien qu’il suffise de lire La Recherche pour s’assurer du contraire, le cliché a la vie dure, et son fameux portrait en « Homme au camélia » – l’œil sombre, le teint pâle – par le peintre Jacques-Émile Blanche ne contribue nullement à le dissiper. C’est sans nul doute pour faire raison de tels préjugés, que Robert de Billy, de deux ans plus âgé que Marcel, a dès 1930 publié ses correspondances et conversations avec l’écrivain. Il était certainement le plus légitime à le faire car nul n’a eu avec Proust une aussi longue et simple amitié. Étrangement, ce livre de souvenirs merveilleusement écrit et d’une rare perspicacité – «Vous êtes un grand psychologue », notait Proust – n’a depuis près d’un siècle jamais été réédité. Il nous livre pourtant un Proust d’autant plus passionnant qu’inattendu. En voici un premier exemple : Proust soldat. La durée du service militaire était alors de cinq ans, mais réduite à une seule année pour les volontaires. Ces derniers servaient dans le rang tout en étant traités comme des élèves officiers. Engagé conditionnel le 11 novembre 1889, Proust est appelé sous les drapeaux le 15 dans le 76e régiment d’infanterie à Orléans. Il est amusant de lire son livret militaire : « Nom : Proust. Prénoms : Valentin, Louis, Georges, Eugène, Marcel. Profession : étudiant. Cheveux : châtains. Yeux : châtains. Taille : 1 mètre 68. » Ce qui fait tout de même 2 cm de plus que le président Sarkozy. « Vous qui aimez tant les choses de l’intelligence… », l’avait gentiment raillé Anatole France dans le salon de Mme Arman. « Je n’aime pas du tout les choses de l’intelligence, s’était rebiffé le jeune homme, je n’aime que la vie et le mouvement. » De fait, il adora l’armée. « Il est curieux, écrira-t-il plus tard à un ami, que vous ayez considéré l’armée comme une prison et moi comme un paradis. » Le voici cavalier, escrimeur, randonneur, nageur… Tout l’enchante. « Le caractère agreste des lieux, la simplicité de quelques-uns de mes camarades paysans, […] le calme d’une vie où les occupations sont plus réglées et l’imagination moins asservie que dans toute autre, […], tout concourt à faire aujourd’hui de cette époque de ma vie comme une suite de petits tableaux pleins de vérité heureuse et de charme » (in Les plaisirs et les Jours, 1896). Au bout de trois mois de service, en février 1890, le fantassin Proust, recommandé par son père, est invité à dîner en compagnie d’un de ses camarades par le préfet du Loiret, M. Boegner. Ils y font la connaissance d’un autre engagé conditionnel, Robert de Billy, du 30e régiment d’artillerie. Le regard qu’a ce brillant élément sur Marcel Proust, empêtré dans « une capote trop grande pour lui », est sans clémence : « Sa démarche et sa parole ne se conformaient pas à l’idéal militaire. Il avait de grands yeux interrogateurs et ses phrases étaient aimables et souples. » Rien pour plaire à ce brillant rejeton de l’aristocratie protestante. « Ce soir-là, je ne sais ce qui plut en moi à Marcel. Il est probable que, s’il vivait, il ne le saurait pas plus que ce qui me fit oublier sa tenue flottante et souhaiter le revoir. Ainsi débuta une amitié longue et sans nuages. » Parmi bien d’autres facettes que nous livre Billy, en voici une autre qui ne manque pas de piment : Proust boursicoteur. Céleste Albaret nous avait prévenu : « En plus des lettres, tous les matins il lisait les journaux. Il y avait un kiosque sur le boulevard, en face de la maison ; de là, on nous les montait. Leur lecture entrait dans les routines ; il ne laissait pas passer un jour sans les regarder attentivement. » La politique, la diplomatie, la vie mondaine, les arts, la littérature, tout l’intéressait. Mais rien autant que l’actualité boursière : « Tous les matins, souligne Céleste, il lisait les pages spéciales sur la finance dans les journaux ; le soir aussi, on allait lui acheter tout exprès pour cela Les Débats, Le Temps et les publications de la Bourse. » Une telle curiosité n’était évidemment pas qu’intellectuelle : de même qu’il lui arrivait de jouer des sommes folles au baccara, Proust avait le goût des actions – et surtout des plus hasardeuses. Les mines d’or l’attiraient, les sociétés pétrolières, et toutes les pires spéculations. « Papa prétendait que je mourrais sur la paille, avait-il un jour confié à sa fidèle gouvernante ; je crois qu’il avait raison. » Sa pire opération : en septembre 1911 Proust avait acheté à terme un gros montant d’actions de mines aurifères. Le cours du métal fin n’avait cessé de baisser et Proust, pour reporter sa position, n’avait au d’autre choix que de régler à chaque fin de mois d’énormes moins-values. En mars, il n’y tint plus et se résolut à prendre la totalité de sa perte. Bien sûr, l’or commença de remonter dès le lendemain… Par chance, son vieil ami de Billy avait épousé la fille du tout-puissant gouverneur de la Banque de France, Paul Mirabaud, et l’écrivain aux abois savait pouvoir compter sur ses conseils avisés, voire sur une intervention salvatrice : « J’ai eu la folie, lui écrivait-il, pour des raisons que je vous dirai, de faire une spéculation grosse pour moi. J’ai acheté à terme 1500 Rand Mines, 300 Crown Mines et 1000 Spassky. J’ignorais que j’avais une différence à payer dès janvier. J’ai reçu une première note de X francs du coulissier et, n’ayant rien pour les payer, j’ai écrit à la Maison X… qui m’a répondu en m’envoyant mon compte où j’étais en déficit de X francs. J’ai donc fait différents emprunts. Croyez-vous qu’il y ait intérêt pour moi à garder ces Rand Mines et ces Crown Mines encore un mois ? Y a-t-il des chances de hausse ? Cette fièvre du jeu, qui s’était déjà manifestée à Cabourg sous forme du baccara et maintenant sous cette forme plus grave, ne durera pas. Peut-être est-ce la stagnation de ma vie solitaire qui a cherché son pôle opposé. » Robert de Billy était diplomate de carrière – et du plus haut talent puisqu’il fut à l’ambassade de France au Japon le successeur de Paul Claudel. Il ne lui fallut pas moins de délicatesse, de patience et de « psychologie » pour faire face aux requêtes en tous genres que ne cessa de lui adresser Marcel, en position d’éternel cadet. Même lorsque Proust se retira du monde, Billy resta son plus dévoué confident : « Ses visites, se souvient Céleste, duraient trois, quatre, cinq heures, très avant dans la nuit. » D’où l’intérêt exceptionnel du témoignage que nous livre ici Robert de Billy. Avec l’élégance et la sobriété qui le caractérisent, l’auteur conclut son récit par ces simples mots : « Je voudrais avoir aidé à fixer les traits intellectuels et moraux d’un homme auquel je dois tant d’élargissement mental, et tant de belles images. Le mot “amitié” qui s’applique trop souvent à de simples camaraderies, je le vois illuminé de douceur, de malice et de compréhension profonde, quand je pense à Marcel. »
LES NOUVEAUTÉS DU MOIS parution en librairie le jeudi 2 juin 2022
Robert de Billy« Mon cher Robert » Correspondances et conversations avec MARCEL PROUST Coll. Les Vies imaginaires, ISBN 978-2-845-90332-6, 192 p., 17 € Robert de Billy fut durant 30 ans l’un des amis les plus proches et les plus respectés de Marcel Proust. Aîné de l’écrivain de deux ans, il restera toujours pour lui une sorte de conseiller et de mentor.C’est dès 1890 que Billy rencontre Marcel, à un dîner organisé par le préfet du Loiret. Tous deux sont alors militaires. Billy, élevé dans un milieu rigoriste, est frappé de la liberté de Proust, qui lui apprend « la joie de penser autrement que par principes ». « Marcel, écrit-il, avait à dix-neuf ans la curiosité la plus éveillée et la variété de ses questions était pour moi un étonnement et un embarras. […] Jamais homme ne fut si peu dogmatique. »Billy restera constamment fidèle à Proust jusqu’à la mort de ce dernier en 1922. C’est pourquoi son témoignage est avec celui d’Antoine Bibesco l’un des plus riches et des plus pertinents. Cela d’autant plus que, doué d’un remarquable talent littéraire et d’une redoutable perspicacité, Billy sait rendre compte d’innombrables facettes de la personnalité de Proust qui nous sont peu connues.Billy remarque, par exemple, que Proust ne lisait pas beaucoup, mais qu’il ne cessait en revanche de questionner les uns et les autres, emmagasinant tout ce qu’il entendait et voyait avec une prodigieuse mémoire. C’est ainsi qu’il apprenait, avec une boulimie de savoir accrue encore par la conviction qu’il avait de ne pas vivre longtemps. « Il y a quelque chose d’héroïque dans le contraste qui existe entre le travail minutieux même Marcel s’assujettissait et la persuasion où il vivait du peu de durée qui serait accordé à sa vie. »Proust n’a cessé d’admirer l’esprit de Billy. L’année même de sa mort, il lui écrit encore : « Vous êtes un grand psychologue et puis c’est si amusant de causer avec vous. » Il ne cesse de lui demander conseil sur les questions les plus diverses : carrière, convenances, diplomatie, bourse. « Je tiens tant à votre amitié, lui écrit-il, que je suis peut-être trop craintif à ce sujet. » Même lorsque Proust se fut coupé du monde, Billy resta, selon Céleste Albaret, « un des plus reçus » boulevard Haussmann et ses visites « duraient trois, quatre, cinq heures, très avant dans la nuit. »Lire la suite
Benoît ReissUn dédale de ciels Coll. Les Cahiers d’Arfuyen, ISBN 978-2-845-903333, 120 p., 13 € Benoît Reiss a vécu près de dix ans au Japon et a écrit de merveilleux petits livres qui rendent compte avec finesse et humour de la spécificité de la façon de vivre et de sentir des Japonais. Il est aussi l’auteur de plusieurs récits d’une très grande qualité d’écriture et de sensibilité, tels que le merveilleux Compagnie de Joseph Tassël (2009), inspiré de la vie de Robert Walser.Ce livre de poésie, le premier de Benoît Reiss aux Éditions Arfuyen, est comme un ensemble de minuscules nouvelles tirées de nos souvenirs : par-delà l’oubli, tout un « terrier d’existences » s’éveille. Tout de suite un ton nous prend : « Certaines fois / je baisse les yeux / découvre un dédale de ciels distincts assez nombreux / instants évadés à l’intérieur de l’instant / […] alors je sais que je suis un terrier peuplé d’existences.»C’est un livre étrange, on ne peut plus intime, nécessaire. Un homme se souvient, par-delà l’oubli. Entre profondément dans la chair de sa chair pour y retrouver les visages. Les uns après les autres se relèvent grands-parents et ancêtres, dans les scènes les plus insignifiantes de la vie, dans ces détails infimes où ils sont tout entiers. « Ma grand-mère / adossée au silence / lave son linge de corps / accroupie dans la cour talons aux fesses / elle a calé le baquet contre les pavés / plonge les mains dans l’eau savonneuse / frotte les tissus // elle lève la tête contre la nuit d’été ».Pas d’explications, pas de pathos, tout est montré seulement. L’errance, l’usine, le camp, la misère. « Le travail de mon aïeul consiste à couper les ongles des morts / à l’aide de tout petits ciseaux / qu’il tient serrés dans la poche de sa veste/ […] les ongles des morts continuent de pousser / ils fouissent la terre sans relâche /[…] existences aveugles / souterraines »Lire la suite
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Marcel Proust« Mon petit Antoine » Correspondances et conversations avec MARCEL PROUST Coll. Les Vies imaginaires, ISBN 978-2-845-90340-1, 168 p., 16 € « Une seule personne me comprend, Antoine Bibesco ! » écrivait Marcel Proust à Anna de Noailles en 1902. Et à son ami lui-même : «Je t’ai toujours considéré comme le plus intelligent des Français. » C’est là l’intérêt exceptionnel des correspondances et conversations qu’a publiées Antoine Bibesco en 1949 : Proust ne se confie à nul autre comme à lui. Couronné par l’Académie française, ce livre n’a pourtant depuis lors jamais été réédité.Les Bibesco habitaient au 69, rue de Courcelles. Les parents de Proust étaient au 45. La mère d’Antoine Bibesco, la princesse Hélène avait un des salons les plus brillants de Paris. C’est là que Proust fit la connaissance des frères Bibesco. Les deux frères le font entrer dans la petite société secrète qu’ils ont constituée avec leur ami Bertrand de Fénelon. Les Bibesco sont « Ocsebib » ; Fénelon est « Nonelef ». Marcel devient« Lecram ». Quelques années après, Marcel et Antoine iront plus loin en se liant par un pacte : tout se dire de ce qu’ils entendent sur l’un et sur l’autre.En 1912, quand Swann est terminé, c’est à Antoine Bibesco que Proust confie son manuscrit pour le présenter à la N.R.F. Le livre ne sera pas accepté, mais la lettre qu’adresse Proust à son ami demeure un passionnant manifeste esthétique : « Le style n’est nullement un enjolivement, comme croient certaines personnes, ce n’est même pas une question de technique, c’est comme la couleur chez les peintres, une qualité de vision, une révélation de l’univers particulier que chacun de nous voit et que ne voient pas les autres. »Lire la suite
Marcel ProustAinsi parlait Marcel Proust Dits et maximes de vie choisis et présentés par Gérard PfisterColl. Ainsi parlait, ISBN 978-2-908-90305-0, 192 p., 14 € On sait le goût qu’avait Proust pour des moralistes comme Pascal, La Rochefoucauld ou La Bruyère. Bernard de Fallois, l’un des meilleurs connaisseurs de l’œuvre de Proust, a publié dans son Introduction à la Recherche du temps perdu un large choix de maximes et de pensées de Proust, qui atteste qu’il est aussi, dans la concision et la lucidité, le parfait continuateur des moralistes du Grand Siècle.Au reste voulait-il vraiment écrire un roman ? « J’ai trouvé plus probe et plus délicat comme artiste, écrit-il à Jacques Rivière en 1914, de ne pas laisser voir, de ne pas annoncer, que c’était justement à la recherche de la Vérité que je partais, ni en quoi elle consistait pour moi […] Ce n’est qu’à la fin du livre, et une fois les leçons de vie comprises, que ma pensée se dévoilera. »A travers l’imposante masse de l’œuvre de maturité, des textes de jeunesse et de la correspondance, ce nouveau volume de la collection Ainsi parlait fait clairement apparaître l’essentiel de ce que Proust voulait transmettre à ses lecteurs : des « leçons de vie » et plus largement une « pensée ». « Au fond, notait Proust en 1909, toute ma philosophie revient, comme toute philosophie vraie, à justifier, à reconstruire ce qui est. »Quelle sont les sources de cette pensée ? On s’en tient souvent à son lien familial avec Bergson, c’est oublier qu’il a suivi lui-même des études de philosophie à la Sorbonne et que, admirateur de Wagner, il s’est également passionné, comme le montre la préface du présent volume, pour la philosophie allemande, de Schelling à Schopenhauer. Lire la suite
REVUE DE PRESSE
Michèle Finck La Ballade des hommes-nuages Lu par Alain Roussel (En Attendant Nadeau, 23-01-22, extraits) Comme toujours chez Michèle Finck, la poésie ne saurait être enfermée dans le cadre étroit d’un genre, d’une forme et même d’un art. Aussi, dans ce nouveau livre, les poèmes alterneront avec la prose, et l’émotion poétique, intensément vécue et personnalisée, pourra-t-elle jaillir d’un film (Wenders, Angelopoulos, Bergman), d’un opéra (Schönberg, Alban Berg), d’un tableau tel « le Songe de Jacob » revisité par différents peintres (Raphaël, Ribera, Tiepolo, William Blake, Chagall) et de la musique, celle-ci présente dans la trame même de l’écriture, comme un rythme de fond qui ressemble à celui de la mer.Ce journal-poème, comme elle le nomme, a des accents autobiographiques. Certes, il ne s’agit pas ici de relater chronologiquement sa propre histoire, mais d’exprimer des moments de l’existence à forte charge subjective, de ceux qui forgent une vie ou dont on ne se remet pas : une autobiographie de l’âme. C’est aussi, et surtout, une lettre d’amour à l’amant interné en psychiatrie qu’elle désigne sous le nom de Om. Ce nom n’est pas sans résonance particulière. Phonétiquement, c’est homme, mais aussi, dans la tradition de l’hindouisme notamment, Om est le souffle primordial, un son absolu, à la fois créateur et destructeur de l’univers, porteur de vie et de mort, un son imprononçable dont la voix humaine ne peut offrir qu’une diction approchée. […]La construction du livre adopte, mais en position verticale et en accéléré, le rythme musical des marées. La première partie, intitulée « catabase » est une descente vertigineuse dans la propre intériorité de l’écrivaine habitée par ses souvenirs d’enfance et confrontée à la folie de Om (dont les visites à l’hôpital psychiatrique qu’elle consigne dans Lire la suite
Maurice BetzConversations avec Rainer Maria Rilke Lu par Myriam Aït-Sidhoum (DNA, 17-04-22, extraits) La relation personnelle du colmarien Maurice Betz à l’immense poète allemand Rainer Maria Rilke a donné lieu à de passionnants échanges réédités par les Editions Arfuyen. En prime, un court récit de Camille Schneider qui accompagna Rilke quelques jours en Alsace.En 1915, le colmarien Maurice Betz (1898-1946) a 17 ans lorsqu’il lit pour la première fois Rainer Maria Rilke. Une révélation. A l’époque, il est en Suisse et un an plus tard, il s’engage dans l’armée française. Le Livre d’images, du poète allemand, ne le quittera pas de toute la guerre, ou presque. […]Les Éditions Arfuyen, rééditent pour la première fois depuis 1936 ce texte, avec un autre titre, Conversations avec Rainer Maria Rilke. Il rejoint la riche collection Les Vies imaginaires.En janvier 1923, Maurice Betz, désormais établi à Paris, écrit à Rilke pour lui exprimer son souhaite de traduire Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, en quelque sorte double littéraire de l’auteur, paru en 1910 – le livre est né des pérégrinations de Rilke dans Paris où il passe près de douze ans. Il y rencontra celle qui devient son épouse, Clara Weshoff (1878-1954), sculptrice, élève d’Auguste Rodin (1840-1917), dont il sera secrétaire. Il se lie, entre autres, avec le poète belge Emile Verhaeren (1855-1916) – la liste de ses illustres amis est bien trop longue pour ici la donner…Rainer Maria Rilke parle très bien le français, il s’y essaye même dans des écrits. Maurice Betz, né à Colmar où il demeure jusqu’en 1915, maîtrise évidemment l’allemand. Commence entre eux un dialogue qui ne cessera qu’à la mort de Rainer Maria Rilke – ce dernier vit alors dans le Valais suisse, au château de Muzot-sur-Sierre. Malade, il voyage cependant encore, entre ses séjours en sanatorium. Il visite ses amis et se rend notamment à Paris, où il revient en quelque sorte sur les traces de son Malte. Lire la suite
Je suis né en état de pesanteur dans le ventre d’une femme la vie m’a tout de suite paru étrange souffrir et rire avec mes frères humains m’a aidé à comprendre le néant je suis né lourd et finirai plus léger que ma plume ce qu’il restera de moi se retrouvera entre deux lignes je suis venu maladroit et beau comme un enfant aider d’autres enfants à jouer à mettre sur table leurs cartes de collection afin de laisser le vent les disperser je suis venu apprendre à mourir afin de mieux vivre parmi les autres
*
Ah ! Que la neige a neigé
(C’est-y assez beau torrieux)
Simonac que j’suis écoeuré
(Ça donne le goût d’être amoureux)
Déneiger, pelleter, j’en peux pus
(Les arbres, on dirait des anges)
Maudite neige qui embourbe les rues
(Le ciel a de jolies franges)
Range tes souliers, sors tes bottes
(Le paysage sourit de ses belles dents)
Va encore y’avoir d’la flotte
Encore pogné avec les charrues
(Tout chante le plaisir et l’agrément)
j’en ai franchement plein l’cul
*
Ce que je sais
est ce que je sens
Ce que je sais
est que le sang
des innocents
est inquiétant
Ce que je sais
c’est que la paix
moi je suis pour
Ce que je sens
c’est qu’il n’y a pas
assez d’amour
*
Tic-tac de l’holorge
l’ermite sourit
au loin la corne de brume
*
Guy Marchamps est né à Trois-Rivières en 1958. Animateur littéraire et culturel depuis 1980, il est cofondateur de la revue Le Sabord (1983) et organisateur de plus d’une centaine de rencontres littéraires et spectacles de poésie. Il a exercé plusieurs métiers tels : travailleur d’usine, technicien de scène, bibliothécaire, professeur de littérature, libraire et chroniqueur culturel à la radio. Il a publié une douzaine de livres de poésie .
Poète invité en France, en Belgique, à Cuba et au Mexique, où les poètes ont une place importante dans la société, Guy veut partager sa passion.
Agonie Street, Trois-Rivières, Éditions Mouche à Feu, 1981
Night-Club Blues, Trois-Rivières, Éditions Mouche à Feu, 1981
L’assasinge, Trois-Rivières, Éditions Mouches à Feu, 1983, 26 p
Sédiments de l’amnésie, St-Lambert, Éditions du Noroît, 1988, 72 p
Blues en je mineur, St-Lambert, Éditions du Noroît, 1990, 77 p
Poème d’amour à l’humanité, Amay, Belgique, L’Arbre à paroles, 1991
Bestiaire, Amay, Belgique, L’Arbre à paroles, 1999
Bestiaire, Trois-Rivières, éd. Art Le Sabord, 2000, 48 p
Le Poème déshabillé(publication collective), Vanier, éd. L’Interligne, 2000, 124 p
L’Innommé suivi de Poème d’amour à l’humanité, Trois-Rivières, éd. Art Le Sabord, 2006, 71 p
Entre les lignes de Nina Bouchard, les battements du cœur et le voyage ne s’arrêtent jamais.
L’auteure tisse une trame du temps qui passe, de l’enfance à aujourd’hui. Le mots nous emportent avec émotion, de la cuisine au bord de la mer, aux abords de la vie.
Cette écriture, réussie, de l’intime, nous transporte comme un métro qui s’éloigne dans le noir, pour mieux rejaillir, inéluctable et insaisissable.
Un métro, métaphore du mouvement perpétuel et de la recherche de soi.
*
il y a tellement longtemps que je me suis croisée
je ne sais plus à quoi je ressemble
*
je veux revoir le monde
en tombant ici
mes pieds sont glacés
mon corps est déjà en train de mourir
*
À travers des poèmes très évocateurs, la quête identitaire, omniprésente, se fait sentir. Tout autant que les contrastes qui existent entre nature, campagne et ville.
Les questionnements se font cartographie.
Nina Bouchard nous parle aussi, avec retenue et patience, d’amour.
De soi, de l’autre, de l’univers tout autour de nous.
*
Je reste là
assise
j’attends
l’éternité
l’impossible
l’inaccessible
je reste là
j’attends
*
Chaque minute est soulignée, chaque moment est mis de l’avant.
Comme un rappel de la beauté de l’existence.
Comme si les tracas devaient toujours s’effacer devant la majestuosité de l’instant.
Qui finalement prédomine.
*
le corps que j’habite
je ne l’aime pas
il tolère ma présence
aujourd’hui
il me laisse écrire
je lui permets de faire du vélo
*
la solitude me donne envie d’aller vers la foule
la foule me donne envie d’être seule
ce soir je serai une solitude au grand jour
*
Les textes nous interpellent et parviennent à observer le monde, tout autant que le monde nous observe.
*
tout est noir
mais je sais que dans l’herbe
des milliers d’insectes
le regard brillant
m’observent
*
L’auteure a inclus 6 photographies originales à l’intérieur du recueil.
«Pour être pierre j’ai besoin d’un langage, et mon langage aura besoin d’un dieu pour l’imposer à cette pierre que je suis et que je ne suis pas encore. » Et la pierre déjà se change en papillon, et le papillon pense :
«Pour être seul de mon espèce
et lui servir d’exemple,
ni fauvette ni fleur,
j’ai besoin d’un langage,
et mon langage me viendra d’un dieu
qui dira : Papillon,
j’exige que tu sois un papillon. »
« Naître en Russie, grandir en Belgique, fuir aux États-Unis, apprendre la paix en Allemagne, vivre en France : cela ne fait pas sérieux. C’est mon destin. Tour à tour j’en ai honte, et me dis que cela peut avoir autant d’importance qu’une virgule dans un poème ; pas plus. » Alain Bosquet, lui-même, met ainsi ses lecteurs en garde contre une interprétation biographique un peu hâtive de ses livres. Est-il pour autant hasardeux de considérer que ce poète s’est constitué à l’ombre de langages divers et sous les effets de leur confrontation : celle qu’inévitablement suppose une existence cosmopolite ?
Mais la pensée comme un zigzag parmi les roses
emporte ses pollens, déchire ses pétales
et n’ose pas choisir parmi ses dix parfums.
Et le vieux papillon
déçu d’avoir tant réfléchi
se change en neige : un peu de neige douce.
Et la neige se met à raisonner :
«Pour être de plein droit la neige
et non pas la brebis,
et non pas le nuage qui passe,
j’ai besoin de parler,
et ma parole me sera offerte par un dieu
en qui j’aurai confiance
et qui sera très magnanime. »
Et la neige a si peur
d’imaginer qu’elle serait la neige !
Elle devient un vieux mouchoir,
et le mouchoir ne pense pas,
et le mouchoir n’a pas besoin de s’affirmer.
Toute origine est déchirure ;
et chaque lieu, métamorphose.
«Un jour où je doutais de moi », dit Dieu,
«je suis allé chez mon ami Shakespeare,
puis je me suis rendu
au domicile de Rembrandt,
qui se peignait couvert de rides.
Avant de retrouver mon royaume incertain,
j’ai salué l’enfant Mozart,
à qui j’ai apporté
un clavecin tout neuf.
Ces trois visites m’ont suffi pour m’accepter un peu.
Je ne sens plus le vent Ni la pluie assassine Ni le soleil brûlant.
Les ombres sont sauvages Et poussent n’importe où.
Je regarde la mer Et j’ose la question : Suis-je encore du monde ?
Et la mer me répond D’un silence univoque.
J’ai déposé mon livre Sur un vieux banc usé, Et la nuit s’en empare.
*
Père, te souviens-tu De ces graves et longs Silences charbonneux De l’enfance précaire, Quand le soir s’appuyait Sur les ruines du jour, Avec ces hauts terrils Et ce ciel d’occasion Tout mité de misère ?
Des hommes enterrés Avant même leur mort Dans un présent faussé, Piétinés par la vie, Toussant leurs rêves crus Comme on brûle des cierges À des saints impuissants Dans leur habit de plâtre, Père, t’en souviens-tu ?
*
J’en ai vécu beaucoup Des jours sans parapet Et des nuits trop étroites Où mes rêves passaient Par le chas de l’étoile.
Après avoir bu sec, Trié mes brins de chance Et arraché ma peau, Il y eut cette éclipse Et puis ma renaissance.
Depuis, je vis pour deux, Je m’éclaire à tes yeux Et je bois à ta bouche, À ton rire si clair Ranimant la montagne.
*
Il faut épuiser l’ombre, La vider de sa suie, La rendre à la lumière
Ou l’habiller de propre Comme quand le dimanche Conjurait la semaine.
*
Philippe Colmant est né à Bruxelles en 1964 et vit aujourd’hui à Arlon. Traducteur de formation et de profession, il a depuis toujours le goût des mots, qu’il assemble et fait chanter au gré de son inspiration et qu’il combine souvent avec une autre passion, la photographie, pour créer de véritables tableaux poétiques.
Prix obtenus
2018: 2e place pour le livre « Salomé pour toujours », avec mention spéciale du jury, au «Prix littéraire Prince Alexandre de Belgique», dont l’édition 2018 était dédiée au polar belge.
2020: 2e place pour (IN)FINITUDE, Prix Pierre Nothomb.
2021: Prix Jean Kobs.
Bibliographie
Vortex, poèmes, compte d’auteur, Amay, 2012.
Le voyage à Florence, poèmes, compte d’auteur, Amay, 2013.
Urbi et orbi, suivi de Une boîte de florentins, compte d’auteur, Amay, 2013.
L’archet et la flèche, préface d’Yves Bossut, poèmes, compte d’auteur, Amay, 2014.
Douce clarté de l’ombre dure, préface de Thierry Dekock, poèmes, compte d’auteur, Amay, 2014.
Chants barbelés, préface de Jacques Mercier, poèmes, compte d’auteur, Amay, 2015.
Malgré tout, il faut bien écrire et persister. Redire la nécessité de préserver notre patrimoine bâti et notre patrimoine paysager, ces balises de notre mémoire extérieure qui irriguent notre mémoire intérieure. Dans cette éternelle province jalonnée de rivières et de clairières, de boisés et de chemins de traverse, de maisons tranquilles, de lieux de peines et de labeurs, il faut ruser toujours mieux pour résister aux attaques avalantes et aplanissantes des promoteurs qui ne pensent qu’à engloutir l’espace et le bien commun pour leur propre profit.
Il le faut, car tous ces lieux de ressouvenance dont on ne parlera bientôt plus, tous ces lieux sont à la base de ce que Jacques Ferron appelle notre “orientation”, cette conscience aigüe du temps et de l’espace qui nous protège de l’aliénation.
*
Du haut de ta balançoire tu vois deux jardins, deux hangars, trois vieilles granges, une ferme, trois bosquets, deux rivières, six sept huit champs, beaucoup d’espace pour manquer d’air.
*
Née au Québec en 1982, Marie-Hélène Voyer enseigne la littérature. Poète et essayiste, se décrivant elle-même comme une hantée sereine, elle mène ses chantiers d’écriture autour des thèmes de la ruine, du territoire et de l’inquiétude. Elle a publié Expo habitat à La Peuplade en 2018. Mouron des champs est son quatrième livre.
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